Yap – land of the stone money
Après cinq jours de traversée, nous arrivons sur l’île de Yap.
Je n’ai d’abord rien écrit sur Yap, Le temps est devenu tellement immobile à Yap, que les mots n’arrivaient plus à rester, ils s’échappaient pour aller nulle part, impossible de retenir quelque chose de Yap, impossible par les mots de retenir le temps, d’habitude les mots adorent ça, l’ennui, le temps pour rien, l’attente.
Yap, ce n’était pas de l’ennui comme on le croyait mais l’esprit de Yap, le temps de Yap. C’est ce qu’on a enfin compris sur la fin de notre séjour à Yap, lorsqu’au bout de trois semaines passées ici: trois semaines d’attente d’un moteur de guindeau qu’on avait commandé et qui devait arriver par colis postal- nous avons rencontré les seuls Français de l’île, Vincent et Marielle et leurs enfants, Angelina et Quentin. Ils ont vécu plusieurs années à Yap pour le travail de Vincent auprès de la corporation, la compagnie qui produit l’électricité, sont partis de Yap puis y sont revenus, Ah toutes ces îles de part le monde qui vous capturent et ne vous lâchent plus. Ils sont tombés sous le charme de Yap, sans pouvoir y renoncer. Yap, ça pouvait sonner comme « Yep, Yep, Yep » quelque chose de léger, d’amusant, de futile. Pourtant. Yap ce n’était pas la beauté de cette île qui vous retenait, ici pas de plage de sable blanc, d’eau turquoise, pas de beauté éblouissante, de pêche miraculeuse derrière son bateau, de tuba qui vous rendait l’esprit léger. Yap, la tranquillité, le calme. Yap pouvait devenir un univers à elle toute seule, au milieu de cet océan, entre mer des Philippines et océan pacifique, on sentait la transition, ici, ce fameux « temps calme » qu’on impose aux enfants pour se reposer. Ce temps mort, oui, après s’être arrêté dans les îles de Lamotrek et d’Elato, le temps avait fini par ne plus être, par mourir, à Yap. Les journées s’écoulaient entre faire la classe, et aller à la piscine du Raie Manta hôtel, le « bar bateau », comme nous l’appelions entre nous, cette jonque des Philippines qui était amarrée devant l’hôtel et qui servait de bar-restaurant. Nous nous déplacions de notre bateau au bar bateau, de la mer à la piscine. Autant dire que le déplacement était infime. Entre, qu’y avait-il? Une route goudronnée, quelques épiceries, des bâtiments administratifs. Les habitations étaient enfouies dans la végétation des collines qui entouraient Yap: on ne les voyait pas. L’île était longue, légèrement en relief, paresseusement étalée, langoureusement blottie avec trois autres petites îles à l’intérieur d’une barrière de corail. Aux abords des îles, une mangrove, faite de branches enlacées. Rien d’excessif même dans sa géographie: des contours doux, des collines amènes, une mer docile . Dans un sursaut inespéré d’activité, généré par le jour de mon anniversaire- Ah bon, un an de plus?-, nous sommes allés avec un bateau à moteur de l’hôtel, de l’autre côté de l’île, empruntant le couloir de navigation dans la mangrove, qui débouchait sur un bras de mer puis de l’autre côté de la barrière de corail. Il aurait pu se passer quelque chose d’extraordinaire, la rencontre avec des raies mantas dont les nombreuses photos affichées dans le hall de l’hôtel attestaient la présence, mais cette île décidément résistait à l’exceptionnel, à l’extraordinaire, à l’éblouissement et nous n’avons pas vu de raies mantas. Tortues, requins, poissons à foison, c’était la part de beauté délivrée par l’île, et c’était bien suffisant, nous semblait-elle dire. C’était tranquille, très très tranquille. Dès qu’un rare Français se pointait à l’hôtel, il était pris d’assaut, par les enfants, par nous: nous étions avides de parler ces chers mots français, nous qui vivions dans l’univers des mots anglais depuis plusieurs mois . Avec Vincent et Marielle, nous avons aussi beaucoup discuté et nous avons enfin compris ce qui fait le charme de Yap: Peu de commerce, pas de plage, pas grand chose à faire,une petite île: dans le peu, c’était peut-être ça le bonheur. A la laverie, une femme m’a dit: « la première fois que j’ai voyagé en dehors de l’île, c’était grâce au travail de mon fils qui est militaire, je suis allée au Canada, au début, je ne voulais pas me couvrir, je détestais porter tous ces habits sur moi, je suis tombée malade, puis je me suis habituée, j’ai découvert la neige, quand ça tombe sur la peau, ça fait comme. » là elle m’a dit un mot en anglais que je n’ai pas compris, et je ne sais pas finalement si ce n’était pas plus important de ne pas comprendre, d’imaginer ce que fait un flocon sur la peau lorsqu’on a vécu toute sa vie sur une île tropicale.
Au bout de quatre semaines, le moteur du guindeau est arrivé, Pierre l’a installé. Quitter Yap, c’est dire adieu à la Micronésie, à l’Océanie, à ce continent d’îles et d’eau, si propice à la navigation. Plus de neuf mois pour traverser l’Océanie, avec ces presque quatre mois imprévus passés en Micronésie, plus qu’une gestation, la mer est cet espace sans compromis pour être un homme. Nous partons vers les Philippines, vers un autre continent, l’Asie.
Visite chez la femme de Steve, le principal d’Elato. Elle a accouché à Yap pendant notre séjour. Son père, Peter est le chef de Lamotrek
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