Pas de salami aux Salomon!


Salomon du 23 décembre 2016 au 13 janvier 2017

 

Les îles Salomon ont mauvaise réputation : crocodiles, moustiques féroces, habitants que l’on dit harceleurs si ce n’est voleurs, beaucoup de navigateurs évitent cette destination, les touristes l’ignorent, pourtant le monde ne l’a pas toujours ignoré : au centre de la bataille du Pacifique qui s’est jouée entre les japonais et les américains pendant la seconde guerre mondiale, elle a aussi été jusqu’en 1978, un protectorat britannique, ce pays a aussi été recherché par ceux en quête de « god gold glory » les missionnaires, les chercheurs d’or, les mercenaires ; pour nous, les Français, elle fut le lieu tragique de l’échouement des deux goélettes de M. de Lapérouse sur l’île de Vanikoro, maintenant lieu de chasse au trésor sur les épaves des deux bateaux.

Les îles Salomon furent révélées en 1586 par le premier européen Alvaro de Mendana, la rumeur circula qu’il avait trouvé un pays si riche en or qu’il devait y avoir ici la fortune répandue par le roi Salomon.

Jack London y raconte la fin de sa croisière avec son voilier Le Snark. Armé de pistolets, l’équipage va de Santa Ana à Guadalcanal jusqu’à l’île de Ontong-Java. Il y rencontre les hommes des Salomon qui vivent encore nus et armés de flèches et de fusils. Chasseurs de tête, victimes du blackbirding, ils craignent toute présence d’hommes « blancs » et menacent l’équipage, les fusillades ne sont pas des légendes à l’époque. L’ami de Jack London, le capitaine Keller, avec qui il passa une partie de sa croisière aux Salomon, finira tué par les hommes des Salomon et décapité après sa mort, sa tête sera gardée en trophée par les chefs coutumiers. C’était en 1908, nous sommes en 2016, à la veille de 2017, les missionnaires, les Britanniques ont fait leur travail de colonisation, imposer leurs règles, ravager les coutumes locales et asseoir leur civilisation; Que restera t-il dans l’esprit des habitants de leurs proches ancêtres les « coupeurs de tête »? Après toutes ces lectures, qu’allons-nous trouver aux îles Salomon?

Salomon vient du mot shalom, la paix et c’est avec ces mots prononcés par mon père , que nous entrons aux îles Salomon, la veille du réveillon de Noël, le 23 décembre. Nous arrivons dans la Western province, New Georgia Group: la Nouvelle Géorgie. Cette partie des Salomon n’a jamais été touchée par les cyclones et la saison cyclonique étant déjà commencée, bien que l’archipel des Salomon comprenne des îles plus proches du Vanuatu, nous sommes directement allés vers la Western Province pour être à l’abri. Nous nous sommes d’abord dirigés vers la ville de Noro pour accomplir les formalités d’immigration et de douanes . Le ciel était extrêmement nuageux, gris, les îles noires, une atmosphère grise, cotonneuse, baignait les îles. D’abord la grande île allongée, derrière le cône volcanique du volcan Kolombangara. Entre, des îles et des îlots éparpillés. Plus que jamais un pays à la géographie éclatée se présentait à nous, aux terres morcelées, fragmentées, dispersées, un pays confettis, aux 3000 îles. Plus que tout ce que nous avons connu jusqu’à présent, nous le constaterons lors de notre séjour, une forêt inextricable couvre les îles, s’étend jusqu’au rivage et en fait des îles difficilement accessibles, seule la mer entre les îles devient le moyen de communication pour les habitants: canoë en bois à la rame ou plus rarement à la voile, barque ou lancha en polyester avec des moteurs, sillonnent la mer, la mer est parfois si étroite que la mer ressemble à une rivière, un fleuve. C’est le cas du « Diamond Narrows », le chenal Diamant que nous prenons pour arriver à Noro. Autour de nous, sur les deux rives de la mer, la forêt, la jungle, ça et là, quelques habitations, des maisons en bois au toit de palme dont la partie centrale est surélevée comme un chapeau, les gens nous font de grands signes « hello » ou nous crie « happy christmas » nous découvrons tel un film qui se déroule, le paysage , la forêt profonde sur les deux rives , le bruit des insectes, des oiseaux, toute la vie qui grouille de chaque côté, les pirogues en bois qui nous croisent, les bateaux à moteur qui nous dépassent. Devant la ville de Noro, la mer s’élargit et devient comme un grand fleuve qui s’ouvre vers l’île de Kolombangara , des thoniers font relâche de chaque côté des deux rives, pour alimenter l’usine de conserverie de thon installée à côté de la ville. Il est 15h, un 23 décembre, veille du réveillon de Noël, nous nous disons que finalement les formalités d’entrée sur le territoire seront difficiles à faire et nous décidons de rebrousser chemin vers Vona Vona lagoon. Nous reprenons le chenal « Diamond Narrows », resaluons les habitants au bord des rives, les pirogues et bateau à moteur qui nous dépassent et après avoir pesé le pour et le contre, vu le ciel très nuageux rendant la visibilité réduite, nous nous engageons dans le Vona Vona Lagoon. Les eaux bleu glacier, opaques, le fond invisible, nous nous guidons au sondeur et grâce aux images satellites prises sur Google Earth, la cartographie étant imprécise, Pierre à la barre, je suis à l’avant du bateau guettant les taches sombres qui pourraient ressembler à des récifs de corail les fameuses « patates » que nous avons découvertes en naviguant en Polynésie.

 

Tout se passe bien, nous choisissons un mouillage de 6 mètres de profondeur, d’un côté l’île longue et noire, un peu surélevée, à l’entrée de la passe, de l’autre le cône volcanique du Kolombangara, 1723 m, l’idylle est parfaite entre les deux, au milieu du lagon, des dizaines d’îlots touffus. La forêt y est si dense, si épaisse, qu’elle s’étend jusque dans l’eau, on ne voit pas la terre, par endroit, la mangrove étend dans l’eau ses racines comme des arcs. Juste avant de mettre l’ancre, nous apercevons une forme allongée dans l’eau, avec un œil qui dépasse. Un crocodile ? Nous demandons à deux piroguiers à proximité. « Des crocodiles ? Non , il n’y en a pas. « Nous leur montrons la forme qui maintenant se déplace, les piroguiers partent dans sa direction tout en restant à distance, nous suivons ce qui est bien un crocodile, il se déplace à la surface en faisant onduler sa queue d’un côté et de l ‘autre, les piroguiers nous font signe de le tuer avec un fusil, « nous n’avons pas de fusils ! », il fait environ 5 mètres de long, la peau rugueuse et verte, la tête avec les yeux proéminents, un vrai crocodile quoi! Bienvenu aux Salomon ! Nous n’avons pas mis le pied à terre depuis 6 jours et nous ne sommes pas prêts de le faire. Le crocodile s’est éloigné, nous pensons être tranquilles, quand une pirogue s’approche de nous, avec un homme à son bord, visiblement très alcoolisé, qui nous demande de payer une taxe de mouillage d’un prix exorbitant. A force de discuter, nous parvenons à le faire partir. Heureusement, pour nous remettre de nos émotions, Jérôme, notre copain de Tahiti, nous avait offert un kit de survie du sud-ouest avant notre départ: gésiers et canard confits, foie gras et un bon St Emilion: c’est donc sous les meilleures auspices culinaires que nous passons ces fêtes, même le Père Noël a pensé à déposer des jouets dans un vieux sac de voiles trouvé dans le cockpit…

 

Le lieu est magnifique: les cieux chimériques, saturés de volutes de nuages, les petites touches touffues des îles, les pirogues qui passent, à l’horizon, le cône noir du volcan Kolombangara, la grande île bleue, la mer si calme, au calme improbable, on dirait un lac, qui prend tous les effets de lumière du ciel. Et nous, au milieu de ce monde. Tellement étrangers à ce pays. Sur notre bateau, un îlot de notre monde, de notre culture, de notre histoire. Ce voyage est paradoxal: nous emportons avec nous notre univers: ordinateurs, tablettes, poupées Barbie, lego, playmobil, puissance 4, nos disques, nos livres, notre monde, qui se confronte, qui se choque avec un autre monde, qui nous transforme, nous change, nous rend un peu plus conscients, impliqués, émerveillés, indignés. Une nouvelle année s’annonce. 85 personnes possèdent autant que 3,5 milliards de personnes dans le monde. C’est dans ce monde qu’il faut vivre.

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Après les fêtes de Noël, nous retournons à Noro accomplir les formalités d’immigration. « welkam to Noro » indique, en parfait pidjin, un panneau publicitaire à l’enseigne de la bière Solbrew. Aux Salomon, 107 langues et dialectes sont parlés, favorisés par l’ isolement créé par les îles; le pidjin est la langue officielle, l’anglais est une langue communément parlée. La ville de Noro est une toute petite ville : une dizaine de maisons sur pilotis au bord de l’eau, certaines ont une pancarte pour indiquer qu’on y vend de l’essence « petrol » « ezzy petrol service », toutes les barques, et canoë, sont amarrés avec leur ancre posée à terre sur la rive ; le petit marché, sombre, le sol en terre, maculé de crachats de noix de bétel, le tas d’ordure à côté, quelques rares fruits et légumes, nous sommes les seuls clients et nous ne passons pas inaperçus, la petite vieille qui nous vend ses beignets ronds a le visage tout tatoué; un snack au menu alléchant mais qui ne sert que des fish and chips, une route principale goudronnée le long de laquelle s’étalent des épiceries tenues par des asiatiques, la seule viande à vendre se trouve dans des congélateurs à 20 minutes à pied de là. La police est très coopérative et guide Pierre vers les administrations où nous devons nous faire établir les documents d’entrée dans le pays. Les policiers transportent même Pierre et Alice dans leur voiture. Alice est ravie. Les policiers coopératifs, les habitants qui vous sourient et vous disent bonjour, tiens, tiens, nous sommes aux îles Salomon . Au milieu des mélanésiens à la peau sombre, nous apercevons un couple d’occidentaux qui nous fait de grands signes. Nous allons vers lui : il s’agit d’américains qui sont venus avec leur voilier, ils accomplissent leur second tour du monde après avoir sillonné les mers depuis vingt ans sur le bateau en ferrociment qu’ils ont eux-mêmes construit pendant dix ans ; chapeau bas. C’est en plus autour d’un bon verre de vin qu’ils nous reçoivent à leur bord et nous font passer par clef usb, ce qui est la bible des navigateurs aux Salomon, le dirk’s sailing guide, unique guide de navigation des Salomon, qu’ils avaient acheté lors de leur premier passage dans ce pays. Ils ont beau avoir connu beaucoup d’endroits dans le monde, de pays, d’îles, à chaque fois qu’ils voient sur une carte un endroit, une île qui semblent intéressants, ils ont envie d’y aller.

 

« Ringgi cove », île de Kolombangara

Des nuages enveloppent les îles, des cieux lourds, chargés de pluie, et tout un ciel qui se reflète dans la mer et des nuages qui deviennent mer, les îles couvertes de bois, des bras de mer comme des bras de rivière, tellement les îles sont proches; à l’horizon, le cône du volcan Kolombangara.

Nous sommes à Ringgi cove, près de l’île qui porte le nom de son volcan, Kolombangara. Vu de la carte, l »île est parfaitement sphérique et dominée par le volcan qui prend presque toute la surface de l’île.

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Le bateau est ancré au milieu de la baie, dans un cercle d’eau entouré de forêt, la forêt bruisse, craque de sons, des oiseaux, des insectes que l’on devine sans les voir, des cris, des hurlements, des bruits de branche, de feuillage, tout un peuple dans cette forêt. Un vol de quatre gros oiseaux blancs qui traversent le ciel dans un bruit de craquements énormes. L’eau est opaque, sombre, d’un vert foncé, d’un vert forcé, des maisons de bois, sur pilotis le plus souvent, tellement la forêt est inextricable, une usine d’exploitation du bois et un gros village au bout d’une piste qui traverse la jungle. Emportés par un pick up de l’usine, nous découvrons le village au milieu de la jungle: d’étonnants arbres, qui ressemblent à des marronniers et dont la base est jonchée de feuilles mortes, entourent une grande esplanade de jeux, et donnent une atmosphère de lointaine Europe à ce village, des grandes maisons en planche, une école dans des baraquements, de vastes allées, un petit marché aux rares légumes, et aux joyeuses marchandes.

Au mouillage: des enfants s’approchent en pirogue, ils ont des légumes à bord, qui un fagot d’haricots verts, qui un bouquet d’orchidées, qui des aubergines, la jeune fille qui est venue la première est restée silencieusement dans sa pirogue à côté du bateau, le regard baissé. Nous avons fini par lui demander si elle voulait échanger ses haricots contre des cahiers ou des stylos. « you want to trade ? » c’est depuis que nous sommes devenus des traders. Elle a eu un sourire ravi quand nous lui avons donné un cahier. Tout le temps que nous sommes restés à ce mouillage, les pirogues se sont succédées sans cesse, chacun tente sa chance auprès de nous, toujours sans aucune insistance de leur part, avec même beaucoup de tact.

Un petit tour en annexe pour explorer les bras de mer gagnés par la mangrove : tout est vert, humide, mystérieux. Nous savons aussi que la mangrove est le repaire des crocodiles; nous nous engageons dans un couloir de végétation, qui débouche sur une autre baie, nous nous approchons d’un ponton pour dire « bonjour » à des enfants ; un monsieur nous invite à descendre de l’annexe pour venir voir son village: l’herbe très verte bien tondue, des fleurs d’orchidées de toutes sortes, des cocotiers, un grand pamplemoussier, des arbres fruitiers, de grandes maisons sur pilotis en planche au toit de palme; près d’un grand arbre, se trouve des pierres volcaniques , où poussent de belles fleurs : cet endroit est tabou, ancien lieu où était le diable. On n’en saura pas plus, l’histoire entre le diable et les Salomon est une longue et secrète histoire, mais on sent l’atmosphère particulière que dégage le lieu. Maintenant que les villageois se sont éloignés de ces croyances, une grande église a été édifiée juste à côté. Nous repartons avec des gros pamplemousses dont la chair rose est délicieuse et une botte d’une espèce d’épinards. Au fond de l’eau, on nous montre l’énorme ancre rouillée d’un navire de guerre japonais qui a été coulé dans la baie.

 

 

à côté de Kennedy island, près de Gizo

Un mètre d’eau turquoise sous la coque, des petites iles semées dans toutes les directions, avec ça et là de belles plages de sable blanc, pas de crocodile, la petite ville de Gizo à proximité, accessible en annexe, pour se ravitailler, nous choisissons ce mouillage pour passer le jour de l’an tranquillement, se baigner (cela fait trois semaines que nous ne nous sommes pas baigné) et se reposer. Nous n’avons pas encore récupéré de notre fatigue de la traversée, qui s’est même accentuée depuis notre arrivée aux Salomon: il fait très chaud la nuit, je guette les moustiques malgré les moustiquaires mises aux hublots et j’ai toujours l’impression qu’une pirogue rôde aux alentours: Les Salomon, le pays où l’on ne dort jamais.

Dès que nous débarquons sur l’île proche du mouillage, un habitant de l’île, Mikael, nous demande de payer une taxe pour rester au mouillage. En Mélanésie, chaque terre appartient à une communauté, et bien souvent, un étranger qui y débarque devra payer une taxe, on peut le vivre comme un racket de l’étranger, un abus, d’autant plus que la taxe est fixée librement par l’habitant, un peu à la tête du client, ou bien comme faisant partie des coutumes de la Mélanésie, de toute façon, on ne peut pas y échapper dans la plupart des endroits; les relations sont toujours de prime abord un peu tendues à cause de cette demande. Après s ‘être acquitté de la taxe (nous donnons un masque de plongée), c’est la cordialité, la curiosité qui naît entre les habitants de l’île et nous. On sent quand même qu’il y a une distance énorme entre les habitants et nous, et nous ne trouvons pas la chaleur des polynésiens ou des ni -vanuatu, l’indifférence, la réserve des tongiens, rien à voir. Mikael discute beaucoup avec Pierre et est très curieux de notre vie, la quinzaine d’enfants qui habitent l’île deviennent les copains de jeu de nos enfants. On sort le sac de jouets de plage : l’île n’a jamais connu soudain autant d’objets en plastique_ et chacun s’empare des raquettes de plage, des balles, des quilles, des moules, du boomerang etc…et les replace consciencieusement, à la fin de la journée. Après s’être renseigné, sur l’île personne ne fête le jour de l’an, c’est un jour comme les autres. Un petit air des ukuleles du jour de l’an à Tahiti nous revient en tête, nous pensons aussi à la fiesta que nous avions fait sur une ile vénézuélienne avec les vénézuéliens, quand après 20 jours de traversée de l’Atlantique, nous étions arrivés le 31 décembre. Aux Salomon, c’est donc fort modestement sur notre bateau que nous festoyons: Pierre nous a cuisiné une vieille poule qui a dû cuire plusieurs heures, avec une sauce aux épices massala des fidji. Au dessert, ananas et bananes rôtis à la cannelle et au gingembre. A 9h30 tout le monde est couché, épuisé. A 1h du matin, je me réveille pour souhaiter la bonne année à chacun, Elanore se lève aussi et nous finissons la nuit sur le filet à l’avant pour regarder les étoiles et dormir dans la tente, la tête à l’air. Le ciel est si lumineux, éclairé par les étoiles, qu’on se croirait en plein jour, nous voyions en même temps trois fabuleuses étoiles filantes, avec leur trainée de poudre d’or. Trois voeux chuchotés pour l’année qui va s’écouler. Dans ce faux jour, à l’horizon, les îles dessinent leurs ombres majestueuses.

 

Le premier jour de l’année: comme un bon présage, trois perroquets rouges traversent notre ciel.

 

Menus de mes cinq ans:

omelette à la langouste

bénitiers géants

pagre grillé

gâteau aux smarties

eau de coco

coca cola

 

Nous restons plusieurs jours au mouillage, nous allons exploré les fonds marins près de Kennedy Island: bien que l’eau soit un peu trouble, nous n’avons jamais vu autant de poissons parmi les récifs coralliens.

Autour de nous, les pirogues circulent que ce soit celles puissantes à moteur qui font des allers retours, à partir de Gizo, ou celles à pagaie, en bois, des habitants de l’île qui pêchent. Nous achetons ou échangeons, aux gens des pirogues qui viennent à nous, les fruits et légumes, du poisson, et même des sculptures sur bois. Il y a aussi des pirogues, plus petites, celles des enfants du village, qui viennent observer le bateau.

Au coucher de soleil, un enfant chante dans sa pirogue, un air doux et lancinant.

 

Gizo

La ville de Gizo c’est la plus grande ville de la Nouvelle-Géorgie, mais comme Noro, c’est une toute petite ville, un peu plus grande quand même. Une route goudronnée longe la mer, de part et d’autre des petites échoppes tenues par des asiatiques (des philippins, des chinois?) qui vendent aliments, outils pour le bricolage, vêtements. Des échoppes donnent directement sur la mer et ont un ponton d’accès. C’est facile en annexe de faire les courses: on choisit la marchandise dans le magasin et on l’embarque depuis le ponton. La plupart des gens se déplacent aux Salomon avec des bateaux et tout est adapté en fonction. On peut prendre ainsi en annexe de l’essence dans les maisons sur pilotis qui ont une pancarte « Petrol » , aller à l’un des bars-restaurants (l’un d’eux porte le nom PT 109) faire les courses dans les magasins ou au marché. La mer est bordée de maisons en bois sur pilotis, d’entrepôts. On va en annexe dans l’une de ses grandes maisons qui est un bar restaurant pour manger un « fish and chip »: la maison est très belle, tout en bois, les murs en planche ou en palmes tressées, la charpente est faite de gros troncs d’arbre, recouverte de palmes, il y a plusieurs toits, des escaliers qui mènent à de petites pièces; de la claire-voie ouverte, on voit notre bateau à l’ancre. L’atmosphère est très cordiale dans la ville, il y a même des gens qui viennent vers nous, parce qu’ils nous ont déjà rencontrés dans les îles alentour. « Toute la ville est belle » dit Alice.

C’est la nuit, une nuit noire, il est 1 heure du matin, quand je devine qu’une pirogue aborde notre bateau, j’entends des frottements contre la coque; est ce aussi des pas sur le pont? Je réveille Pierre, on allume toutes les lumières, on se précipite dehors, on éclaire la nuit avec une lampe torche, on voit une pirogue s’enfuir, avec un homme qui sourit et nous fait des signes du genre « c’est rien ». on lui crie « what are you doing? » A t-il trop bu et abordé notre bateau par inadvertance?

Sommeil agité, rêves peuplés de crocodiles, de guerre, de voleurs, on ne dort jamais aux Salomon.

 

ile de Mandou et île de kundu, skull island

Les Salomon c’est un voyage à l’intérieur de ses propres peurs : combattre ses appréhensions, aller vers la découverte, connaître ses peurs et les surmonter, faire confiance.

Lorsque nous jetons l’ancre devant le village de Mandou, nous provoquons l’agitation dans le village, nous sommes le premier voilier à mouiller ici, des pirogues arrivent immédiatement pour nous demander de payer une taxe de mouillage « a fee » associée à d’autres taxes pour aller à terre et cherchent à nous échanger ou nous vendre des fruits et légumes. Devant notre refus, trois autres pirogues arrivent, l’une est menée par le « Village Organizer » (qui nous l’apprendrons plus tard, est le petit fils du grand chef guerrier, Ingawa) c’est à dire l’administrateur de la communauté du village. L’échange se passe mieux et nous indiquons que le lendemain, nous irons à terre pour discuter plus amplement de ces taxes. Je n’ai qu’une envie : lever l’ancre et aller mouiller près de l’île où se trouve un hôtel, à peu de distance de là. Pierre est plus confiant, et préfère attendre de voir les choses venir le lendemain ; une autre pirogue vient nous voir, elle est menée par le fils du chef du village, celui qui fait visiter l’île des crânes qi appartient à son père « skull island ». il nous parle de skull island, de l’histoire du lagon, des jeunes du village qu’il faut calmer, de la curiosité suscitée par notre bateau. Il est passionnant et nous donne envie d’en savoir plus. Le soir est presque tombé et pendant que nous préparons à manger, une pirogue revient en silence près du bateau. J’entends le léger choc de la pirogue contre le bateau, ce qui fait me précipiter dehors, pour demander au jeune qui était venu une premier fois et avec qui j’avais déjà discuté ce qu’il était revenu faire. Il s’en va tout penaud et se fait bien engueuler par quelqu’un du village en rentrant. On entend la réprimande depuis le bateau.

Le lendemain, on se met d’accord pour visiter le village, aller voir skull island en annexe et payer la taxe pour cela, pas pour mouiller, la mer est toujours libre pour les navigateurs, prétend t-on. La taxe bénéficiera, certainement, à l’ensemble de la communauté, c’est un exemple de « Wantok » (de l’anglais« one talk »), un des éléments fondamentaux de la culture mélanésienne: la communauté (souvent le village) assure les droits et devoirs de chacun: dans les grandes lignes, chacun a droit d’être logé et nourri par la communauté, l’argent gagné est mis en commun, les grandes décisions de la vie sont prises par la communauté.

Le village se compose de grandes maisons sur pilotis, les murs de planches ou en palmes tressés, l’une d’elle se distingue par le caractère altier de ses quatre toits traditionnels (toit dont la partie centrale est relevée).Le village comprend plusieurs centaines d’habitants. Dans les jardins, des orchidées de toutes les couleurs, sauvages, parasites sur les troncs ou cultivées pour leur beauté. Le village est traversé de vols de perroquets rouges, et de perruches blanches.

Une grande église dédiée au culte CFC Christian Fellowship Church. Une grande conche permet d’appeler les fidèles et de les inciter à la prière, plusieurs fois par jour. Adossé à l’église, un long canoë noir et blanc. C’est en fait un canoë de guerre, réplique dont l’original se trouve au British Museum. La grande barque est faite d’un seul tronc, couverte d’un enduit noir et incrustée d’éclats de coquillages blancs, le nautile, qui dessinent les signes géométriques correspondant aux attributs des guerriers, qui représentent aussi diverses figures: un serpent de mer noir et blanc, la frégate qui guide et montre le chemin, le bec du dieu oiseau. Deux têtes sculptées sont fichées en haut de la proue regardant l’une vers l’avant, l’autre vers l’arrière; à la poupe, deux têtes sculptées regardent l’une sur un coté, l’autre de l’autre coté, en direction opposée. Dix-huit rameurs pouvaient conduire le canoë, il servait pour la guerre, ou pour la pêche.

En 1908, lors de la croisière du Snark, Jack London a photographié ces canoës de guerre, encore en utilisation, sans doute pour la pêche. Sur les photographies en noir et blanc, on voit les grandes pirogues richement incrustées de coquillages blancs, la poupe relevée, portant les figures des dieux.

 

 

Avec le fils du chef et le « village organizer », petit-fils du grand chef guerrier Ingawa nous allons en annexe sur l’île des crânes « skull island », une île sacrée « tabou » près de la pointe de l’île de Kundu. Sur des pierres de corail, à l’abri sous des planches disposées en triangle, repose le crane du grand chef Ingawa, entourés des cranes d’autres chefs guerriers ainsi que sous d’autres planches en bois, les cranes des guerriers ennemis. Leur squelettes sont enterrés près de là, sur la grande île de Kundu. Une fois le guerrier tué au combat, on coupait sa tête qui étaient honorée par de grands rituels et plaçait dans un de ces lieux tabou. Des anneaux de coquillages, faits avec des grandes conches, qui servaient autrefois de monnaie sont étalés devant les planches. Le guide nous explique que sous les pierres, se trouvent toutes les parures qui accompagnaient les guerriers : colliers, bracelets, et autres monnaies. A côté, se trouve un amoncellement de pierres dédié aux cérémonies de la pêche. S’y dressent trois pierres taillées comme des stèles : l’une représente une mouette qui cherche les bonites, une frégate pour faire changer la direction des bonites, un fou de bassan pour les guider dans le lagon. Dans un coquillage, on mettait de la nourriture à base de taro pour commencer la cérémonie. Ces stèles n’étaient pas sculptées, l’esprit suffisait à faire vivre l’oiseau qu’elles représentaient.

La planche qui fermait l’abri pour les cranes était sculptée et a été volée, par un touriste; l’original du canoë de guerre se trouve en Angleterre; le jeu d’échec aux pièces d’ébène sculpté par le père de Nito a été volé aussi par des touristes, les passagers d’un luxueux yatch qui viennent, sans autorisation et sans avoir payé la taxe, sur le site sacré… Qui sont les voleurs, ici?

 

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Sur le chemin du retour, nous passons par le camp installé durant la seconde guerre mondiale par les américains, pour contrer les japonais dont le fief se trouvait à Gizo. Une guerre sanglante s’est jouée aux Salomon qui a fait des milliers de morts, la bataille la plus connue étant celle de Guadacanal, qui porte le nom de l’île où elle se déroula. Les fonds sous marins, les forêts sont remplies de vestiges de cette guerre. Cette bataille entre deux grandes puissances étrangères a été ahurissante pour les habitants des Salomon; jusqu’en 1965, un soldat japonais était encore sur l’île de Lavella Vella à attendre l’ennemi, croyant que la guerre n’était pas encore finie. L’armée impériale du Japon s’est servie des îles Salomon comme base arrière dans le projet d’attaquer l’Australie et la Nouvelle Zélande et de devenir les Maîtres du Pacifique. Il s’est jouée ici la plus grande bataille sur les mers qu’aura connu le monde, et c’est lors de la bataille de Guadalcanal que les forces alliées américaines prirent le dessus sur les japonais. Rien que pour cette bataille: 67 navires de guerre coulés, 30 000 morts japonais, 7000 morts américains. En comparaison, les chasseurs de tête paraissent des amateurs de la mort. Tout ça au nom de la domination des uns sur les autres, de la folie de la possession et du pouvoir. Et je réentends le cri, la longue plainte sur la folie du monde poussée dans la nuit tahitienne par un groupe musical ukrainien.

 

 

John Fitzerald Kennedy a combattu aux Salomon, son navire le PT 109 fut détruit par un destroyer japonais. Lui et son équipage nagèrent de nuit jusqu’à plumpudding island, (rebaptisée aujourd’hui Kennedy Island) et se cachèrent de l’ennemi puis ils nagèrent jusqu’à l’ile Olona et l’île Naru où ils essayèrent d’attirer l’attention de navires alliés. On dit qu’un message gravé sur une noix de coco fut transporté par les habitants à la base navale américaine de Rendova où un vaisseau fut envoyé pour les récupérer. C’est le guide de navigation des Salomon« Dirk’s sailing guide » qui nous apprend ces faits, ce guide de navigation sert aussi de guide des vestiges de cette guerre.

Le jour de l’an, au mouillage, nous sommes entourés de ces îles, kennedy island, Olana, Naru, impassibles, muettes, à l’histoire insoupçonnable, remplies de beauté, baignées des eaux turquoise, nous imaginons les destroyers sillonnant la mer, les coups de feu échangés, les obus lancés, la mitraille, la guerre, la destruction, la mort, ce champ de la mort parmi tant de beauté donné, impossible d’imaginer, comme le temps efface tout de sa main, les traces, les déchirures, et la beauté des lieux remet son ordre, sa raison.

Je me demande si cette guerre n’a pas contribué à la grande distance que l’on sent entre les étrangers et les habitants des Salomon. 29 000 habitants des Salomon réduits en esclavage par le blackbirding, les milliers de japonais et américains venus dans leur pays qui s’entre-tuent pendant la guerre du Pacifique. « Étranges étrangers » doivent-ils penser.

De retour dans l’annexe, nous nous dirigeons vers le village. Le petit-fils du grand chef guerrier et l’organisateur du village ont le regard aiguisé: ils ont repéré au loin, une forme allongée qui dépasse de la surface: un crocodile. Sans peur, accompagnés par l’esprit des grands chefs, nous nous approchons: le crocodile un moment immobile à la surface finit par plonger et disparaître dans l’eau trouble.

Même aux crocodiles, nous allons finir par nous habituer, tout comme nous nous sommes habitués aux requins en Polynésie. Un petit lac à l’intérieur de l’île est le réservoir d’eau des bébés crocodiles et nous sommes presque prêts à aller les voir.

Les gens du village, dans leurs pirogues ,se succèdent le jour autour de notre bateau, pour nous échanger fruits (papayes, goyaves, oranges, ananas…) et légumes (courgettes, haricots, aubergines, patates douces…), coquillages,objets sculptés contre hameçons, fil de pêche, cahiers, stylos… Nous avons aussi autour du bateau, un banc d’une soixantaine de calamars qui nous regardent et nous narguent. Un vieux pêcheur tout souriant qui est venu nous échanger des légumes, tente avec Pierre de les attraper avec une turlutte, peine perdue mais ce fut une belle partie de pêche.

 

Un jour le ciel est toujours aussi nuageux, mais un peu plus de soleil, une absence de vent, que sais je ?l’eau devient transparente et révèle ses secrets : de longues algues tapissent le fond de sable brun, en annexe, on aperçoit les formes furtives de petites raies pastenagues ou léopard, d’un requin pointe noire, cela paraît si étonnant de voir ces créatures de la mer tellement on se croirait sur un fleuve ; ce même jour, profitant de la bonne visibilité dans l’eau, une dizaine de pirogues partent ensemble à la chasse à la tortue: aux Salomon, les tortues sont chassées pour être mangées, un vieux monsieur depuis sa pirogue nous parle de ses 17 bébés tortues qu’il détient non loin de là, dans un bassin d’eau de mer.

A l’écart du village, sur la même île de Mandou, nous découvrons l’endroit où vit Nito et sa famille, son père est un grand sculpteur et nous admirons ses pièces maîtresses; dans son jardin, au milieu des bananiers, des mape, des manguiers, des citronniers, sur l’herbe verte et bien fauchée, sont disposées les sculptures: le canoë de guerre incrusté de coquillages qu’il a construit et celui qu’il est en train de construire, les longs bois représentant des crocodiles, les poissons sculptés le long des piliers en bois, les statues figurant les dieux. Il nous raconte les légendes associées aux sculptures, le dieu pécheur, le dieu chien, Nguzunguzu, Tiola, les dieux anciens.

Tout comme l’eau est devenue soudain claire, peuplée des créatures de la mer, les Salomon apparaissent dans toute leur complexité avec leurs mythologies, leurs croyances anciennes, leur profondeur.