Grain de nuit


Il fait noir. Les étoiles sont éteintes. Seul, le feu de mat résiste, dernier astre au milieu du ciel.

Le vent est monté, nous avons pris deux ris. Les coques sifflent, Le sillage s’étend, se manifeste, bruisse, glougloute, gémit. Nous allons vite. La mer est plate. L’écume est phosphorescente, nous glissons au milieu d’ondines scintillantes. Le paysage est figé. Nous sommes immobiles au milieu de cette mouvance, au cœur de l’obscurité.

 

Je ne vois rien, que le noir.

Je ne vois rien et c’est magnifique.

 

Un éclair, un flash, les nuages apparaissent, daguerréotype tremblant. Mer noire, mer plate, sans vagues, le ciel s’illumine, une bande lumineuse sur l’horizon, les voiles sont des ombres chinoises, les nuages se parent de nuances d’argent.

 

De nouveau le noir. Le ciel s’est éteint. Nous sommes dans un vivant tableau de Soulage.

 

Encore un éclair. Devant nous, l’orage se précise. Au loin la foudre lui répond comme un écho optique. Les dieux du tonnerre se sont donnés rendez-vous. Zeus d’un coté, Thor de l’autre, chacun montre sa gloire.

 

Le noir est omniprésent.

 

Je compte les secondes.

Une, deux, trois, quatre, cinq, six, éclair !

une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, éclair !

un, deux, trois, quatre, cinq, éclair !

 

Pas de grondement. Uniquement l’assourdissant silence des coques qui fendent l’eau et du vent qui s’engouffre sous ma capuche. J’évoque ma silhouette, noire, emmitouflée dans le ciré noir d’Arnaud. Noir sur noir.

 

A chaque éclair le même paysage apparaît, identique et pourtant si différent. L’orage se précise nous fonçons sur lui. Que faire ? Le laisser au vent ? Sous le vent où va-t-il ? Je remonte au vent. Flash, nuit, Flash nuit Flash, nuit… Daguerréotype, nuit, daguerréotype nuit… les images se succèdent. Peu à peu les éclairs se meuvent sur notre vent puis glissent sur notre arrière. Le vent s’apaise.

 

Et nous voguons dans le noir, dans ce grain de nuit qui contient notre monde.