De Aitutaki vers … ?


1er jour de mer, mer agitée,

2ième jour de mer, mer agitée,

3ième jour de mer, mer agitée,

 

les jours passent et se ressemblent, vent arrière de 15, 20 nœuds, vitesse 7 nœuds, la mer est une succession de petites vagues qui roulent vers l’ouest, une drôle de mécanique la mer, des petites vagues régulières à l’infini, sans discontinuité et soudain une, ou deux grosses vagues qui roulent, qui roulent jusqu’au bateau, montent, montent comme si elles allaient s’écraser sur le bateau, puis finalement font monter le bateau et le redescendre et encore le monter et le redescendre, la mer est d’une telle monotonie comme si elle avait effacé le temps et qu’on ne savait plus depuis combien de jour nous sommes là, l’esprit n’a plus rien pour s’accrocher, aucun repère visuel, seul un malheureux calendrier de 2014 trône dans le bateau qui nous sert à l’étude des enfants, obsolète calendrier qui nous oblige à faire des calculs pour connaître notre jour de semaine, obsolète temps et temps obsolète, l’un et l’autre sont vrais, de chaque côté du mot temps se trouve l’obsolescence, la mer est un temps présent, un présent absolu sans passé ni futur, un lieu sans ride malgré les rides de la mer, sans peau lisse malgré la mer plate, un lieu sans jeunesse ni vieillesse, comme si cela devait durer encore, la mer est une surface neutre, humainement neutre, nous recevons la seule visite d’un fou de bassan, visite animale mais presque humaine dans nos longues solitudes…

 

 

il y a la succession de lunes, d étoiles et de jours gris, le matin le rose s’empare de chaque petit nuage et allume sa tendresse puis s’efface pour laisser la place à ce gris, à ce désemparement, plus tard dans la journée, c’est un blanc laiteux , écœurant en bas du ciel et le bleu au centre qui peine à s’imposer, et le gris partout, qui reste.

La mer est sans mémoire, combien de bateaux sont passés par là et toujours ce paysage sans temps, seul le temps de sa propre mémoire, celle du vent griffant la vague, les milles et milles rides et ridules composant la mémoire de la mer, quelle trace auront laissé les bateaux de leur passage – nulle trace de ceux qui furent un temps là, d’où viennent ces fous qui nous approchent, auront ils laisser une terre derrière eux, ou toucheront-ils un jour une terre, et quelle terre, quelle est la prochaine île qui naîtra de cette mer ?

Nous traversons une géographie invisible, faite de sommets inversés , les abysses, à 3000 m, 4000 m au dessous de nous,et le fait même d’y penser sans pouvoir s’y pencher est vertigineux, à la surface , le bateau qui vogue par 4,5 nœuds, les voiles gonflées, tendues par le vent, en dessous, les infinis, les abysses.

 

 

A 65km de l’île de Tongatapu est née une nouvelle île, elle n’est pas cartographiée, elle est née de l’activité volcanique sous marine, a jailli de trois mille mètres, un long et lent jaillissement de millions d’années.

Une île est née récemment dans l’archipel de Ha’apai aux Tonga, elle est née du volcan Hunga Tonga-Hunga Haʻapai qui après une série d’éruptions, de coulées de lave, d’explosions d’azote et de phosphore , après avoir craché des nuages de cendre et de pierres incandescentes, a donné naissance à une nouvelle île. L’île a 1 à 2 km de large, 2 km de long et 120 m de haut. Des oiseaux de mer ont commencé à nicher sur l’île.

Voici le récit de la naissance de l’ île (source : noonsite.com):

 

«  Hunga Tonga volcano – 20° 34′ 12″ S, 175° 22′ 48″ W 

Hunga Tonga Hunga Ha’apai est un volcan situé à 30 km au sud sud est de Fonuafoou (dite « l’île du Faucon »). Le volcan est à nouveau entré en éruption le 19 décembre 2014. L’éruption a continué en 2015 avec, en particulier, un grand nuage de cendres monté à 3 km dans le ciel le 6 janvier 2015. L’éruption est entrée dans une nouvelle phase le 11 janvier 2015 quand le volcan a commencé a envoyé des cendres à 9km dans le ciel. Un nuage de cendres a atteint 4,5 km le 13 janvier et une grande quantité d’azote et de phosphore s’est écoulée sous l’eau détruisant les algues provoquant une marée rouge. Deux nouveaux cratères ont été identifiés, un sur le volcan Hunga Ha’apai et un autre à peu près à 100m, au-dessus et sous la mer. Le 16 janvier 2015 une nouvelle île a été formée par l’explosion, bien que les géologues disent que la nouvelle île n’existera que quelques mois jusqu’à ce que les vagues de l’océan la submergent. Les autorités de Tonga ont déclaré la fin de l’éruption le 26 janvier 2015 après avoir observé qu’il n’y avait plus de gaz, ni de cendres ni de pierres sortant du cratère de l’île. A l’heure actuelle, l’île a 1 à 2 km de large, 2 km de long et 120 m de haut. L’île touche Hunga Ha’apai et est à peu près à 200m de Hunga Tonga. Des personnes visitant l’île ont constaté que des oiseaux de mer avaient commencé à nicher. »

En sortant de la passe, nous avons vu une baleine et son baleineau, mais toute vie marine est maintenant recouverte du voile de la mer, dans les airs, quelques fous esseulés viennent par leur vol, peupler notre ciel.

En haut d’une vague, monté sur le sommet, à la crête, on pourrait se croire roi tellement le royaume est défini, la circonférence du royaume précise, l’étendue marine limitée. Cinq cent ans de sang bleu coulent dans mes veines, et des mes ancêtres, comtes et comtesses, je me suis demandé quel héritage ils m’avaient transmis, le voilà mon royaume celui de la mer, et mon sang bleu, celui de la mer, et leur rang de comtes et de comtesses, celui des contes, leur héritage, du vent, de l’espace, et un jeu de mot.

 

A Aitutaki, il y avait une femme qui s’appelait Memory. « c’est un prénom rare » lui ai-je dit. Elle m’a raconté que sa grand-mère venait d’Australie et avait immigré à Aitutaki. Lorsqu’elle est née, sa grand mère avait voulu qu’elle se nomme Memory, « mémoire », pour se rappeler d’où elle venait.

 

A 7h du matin, le jour ne s’était pas encore levé, dans la nuit, cinq petites lumières : Niue ! Cinq petites lumières dans la nuit, depuis cinq jours de navigation, c’est ce qu’on appelait une île, il fallait voir la carte pour le croire. Il y avait la possibilité d’une île, comme aurait dit Houellebecq, la possibilité de cette île, l’île de Niue, c’est à dire de s’arrêter, d’arrêter le mouvement perpétuel du bateau, arrêter la nausée et le mal de tête si vite arrivés, ouvrir un horizon tangible fait de terre, d’arbres, de maisons, d’hommes et de femmes, de voitures…tout le monde se réveille dans le bateau pour voir les lumières de Niue dans la nuit. Ces petites lumières qui dansent dans la nuit, dans notre univers de mer. Niue est une île dont la base volcanique ne s’est pas effondrée : la base de corail est remontée sur toute sa surface, elle est sans passe, sans lagon. Lorsque le jour se lève, Niue est un rectangle noir à la surface. « elle est grande, elle est grande cette île, pas comme sur la carte. « dit Alice. La lumière du soleil levant envahit peu à peu l’est de l’horizon, et en quelques minutes, le gris prend le dessus, un temps maussade, prêt à exploser en pluie. A 9h, il ne reste rien de l’île, le ciel a été envahi par une masse nuageuse. C’est ainsi qu’a disparu Niue de notre horizon,après avoir été cinq lumières dans la nuit.

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Lever de soleil devant Niue

Le vent est tombé, à moins de 10 nœuds, le bateau traîne sa coquille à 3 nœuds, la mer calme, et l’horizon, toujours ce même cercle, s ans début ni fin ; depuis 5 jours, notre horizon le même, avec les variations des vagues, du ciel, à tel point que nous avons l’impression de faire du surplace, si ce n’était notre trace électronique, de nous mouvoir dans un paysage immobile.

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Plus de vent, plus de soleil, plus de houle, plus de batteries…

 

Niue la nécessite d’une île.

Le vent est tombé, il pleut, le ciel est entièrement gris, pris sous une chape de gris, nous n’avançons plus, lorsque nous voulons mettre en marche le moteur, impossible de le démarrer. Nous coupons ce qui consomme de l’énergie, le frigo, le convertisseur électrique mais rien n’y fait, c’est une panne de batterie, le moteur ne démarre pas, il nous resterait deux nuits pour aller aux Tonga mais en risquant de tomber en panne totale d’appareils électriques, les plus importants étant les instruments de navigation. Niue devient alors la nécessite d’une île, nous décidons de rebrousser chemin et de nous diriger vers Niue à la voile avec le peu de vent qui souffle. Cela fait trois heures que nous avons dépassé l’île. Niue n’a pas de passe et comporte une baie ouverte où se trouvent les bouées d’amarrage. Il est donc possible d’y arriver à la voile, sans moteur. le vent nous pousse à trois nœuds, puis deux… le temps paraît long, nous voulons arriver avant la nuit, un peu plus de vent se met à souffler, le bateau s’emballe, tiens une éclaircie, nous essayons à nouveau de démarrer le moteur,oh, ça marche, ça marche!! et en avant pour Niue : cette île que nous voulions ignorer de notre présence nous offre maintenant son abri, sa large baie ,et ses bouées d’amarrage. Nous arrivons à Niue en fin d’après midi et nous prenons une bouée ; une huitaine de bateaux sont déjà au mouillage, suédois, canadien, américain, suisse. Le pavillon de Niue est hissé, nous sommes heureux d’être arrivés.

 

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Au mouillage