Des Vanuatu aux Salomon


Des îles Vanuatu aux îles Salomon du 16 décembre 2016 au 23 décembre 2016

 

premier jour

Après un faux départ, lié à un changement de pièce sur le dessalinisateur, nous étions enfin prêts à partir.

Le ciel était entièrement couvert de nuages sauf un triangle qui s’était formé devant le coucher de soleil et révélait une couleur rose, et comme un talisman, l’oeil d’un dieu égyptien dans ce triangle nous regardait partir et nous filions, nous voguions . Vent arrière de 15 nœuds, mer agitée tourmentée, autour de nous, les îles n’étaient plus que des ombres.

Passer devant Gaua et ne pas s’arrêter, tourner à gauche, vers l’ouest dans un grand empannage, et filer, fuir vers l’ouest, loin de la zone touchée potentiellement par les cyclones, prendre le large, éviter la zone intertropicale de convergences, là où convergent les vents de l’hémisphère nord et sud, pour provoquer une absence de vents. Une dépression tropicale venait de se former au large des Fidji, nous pensions à Noël resté dans la zone.

 

2ième jour,

Pluie, le vent qui accélère, ralentit, moteur, voile, empannages pour changer de direction et chercher le vent et toujours cette mer hachée qui n’offre aucun repos. Nous nous sommes allongés pour regarder le ciel au début de la nuit. La pluie tombait, les petites gouttes s’écrasaient contre nous, les étoiles dans le ciel, les petites gouttes, les impacts de météorites qui s’écrasaient contre nos corps sans défense, toute la lumière des étoiles qui filait goutte à goutte sur nous. La pluie devient trop forte, il faut rentrer, se mettre à l’abri et rompre le sortilège. Sous les tropiques, la pluie est une bénédiction. Elle ne nous mouille pas, elle nous saoule.

 

3 ieme jour

Monotonie. Langueur s’empare de nous. Le bateau file, nous secoue. Le temps a filé, où le temps a t-il filé? qu’est ce que j’ai fait de toutes ces années? On écoute en boucle les mêmes chansons et dehors, la même chanson: la mer, la mer. Ciel nuageux, gonflé de nuages, houle croisée. Allongés, allongés, à écouter une histoire d’Harry Potter qui n’en finit pas. Dans la vitre du hublot, une autre mer s’est formée, une vague qui roule, qui roule comme un tube de surfeur. Le spi énorme nous pousse toujours plus en avant, voulant tricher avec la lenteur, la vague roule, la longue houle, autour la même mer, on ne sait plus, la tête est prise dans un étau, le ventre en vrac, au bord de la nausée, pensées confuses qui prennent le rythme de cette longue houle, qui ne veulent plus s’arrêter.

Quatre oiseaux en visite, on dirait des pailles-en-queue, -est ce possible si loin?-s’arrêtent au dessus du bateau , nous regardent, écrivent-ils leur journal de bord? Un pétrel marron tacheté fend notre trajectoire, un poisson à 200 m de nous, nous a suivi une partie de la nuit. Pour qui nous prend t-il? Les enfants sous la table jouent et se disputent, les rires fusent, les pincettes aussi. Le vent est maintenant de 15 nœuds, vent arrière. Vol plané de fous autour de nous.

 

 

4 ième jour

Petit jour après la longue nuit, on sort et on se prend une giclée de vent et de soleil. Lucile nous raconte ses rêves de gâteau à la chantilly, et de gâteau aux bonbons.

Mouettes, fous, pailles-en-queue sont nos compagnons du petit matin. On imagine des poissons dans les crêtes des vagues. Rien ne mord à nos hameçons. La mer est vide, je ne vois que ça! Les nuages sont devenus espacés, ils occupent le ciel par grosse bouffée. Le ciel part du blanc, près de l’horizon, à un bleu lumineux au centre, la mer est d’un bleu nuit. Spi et re-spi, comme on respire.

Il ne faut lire dans ces lignes que l’ennui, l’infini solitude, la terre si loin, la mer si ronde, le ciel immense au-dessus de nous, avec ces oiseaux arrachés au néant. Le soir, les nuages se font d’un blanc intense, d’une telle pureté, maculée seulement par les taches des oiseaux qui volent.

Dernier oignon, dernière papaye, nous sommes à la moitié du voyage, avant le grand empannage, la longue remontée vers le nord, vers les Salomon.

La coque du bateau se reflète dans l’eau et ajoute sa couleur à la couleur de la mer: la mer devient d’un bleu d’encre entre les planches de la plate-forme à l’arrière, un bleu intense, violent, violet.

Nous passerons cette nuit près d’un reef, au nom improbable, « Indispensable reef » rien que ce reef, la présence d’une terre, d’un simple anneau de corail posé sur le grand océan, nous fait rêver.

Houle venant du sud-est, houle venant du sud-ouest, ajoutées aux petites vagues plein de crêtes, c’est ce qu’on appelle une mer croisée, qui a pour effet de nous malmener, nous jetant d’un côté et de l’autre. Résultat: un grand inconfort et une seule envie, arriver à bon port le plus rapidement possible.

 

 

5 iéme jour

le vent est tombé à 8 nœuds, il vient de l’arrière, le spi nous tracte à 4 nœuds. La mer croisée s’est décroisée. Cela change tout: plus de mal de tête ni de mal de ventre. Nous pouvons vivre à peu près normalement, nous sortons une grosse pile de « Popi » et de « belles histoires » et nous nous précipitons pour lire plein d’histoires, en particulier, toutes les histoires liées à Noël. Nous avons sorti le calendrier de l’avent et le petit mulot annonce qu’on est le 20 décembre. Les enfants ont soigneusement choisi les tenues avec leur accessoire pour le réveillon et le jour de Noël et les ont accroché aux patères des cabines avant de partir. Elles ont fabriqué des flocons de papier rouge blanc, vert et bleu qui décorent les hublots. La crèche fabriquée avant le début de la navigation attend dans sa boite. Chaque jour, on rêve de Noël, de ce qu’on va manger, là on on va se baigner, de pic-nique sur la plage, comme on faisait dans les îles polynésiennes.

Les visiteurs de la nuit et du jour: un gros fou noir a passé la nuit sur le bateau, ce n’est qu’au lever du jour que nous l’avons surpris et il s’est envolé. Deux pailles-en-queue cherchent à attraper notre hameçon et tournoient au-dessus de nous, une mouette, un autre fou, les oiseaux sont avec nous. Un papillon est même venu un bref instant virevolter au-dessus du bateau, comme une apparition féérique puis est reparti. La VHF a grésillé, des voix entendues puis perdues. La proximité relative ( environ 100 milles de nous) de l’île de Rennell explique ces apparitions, les voix, les animaux. Rien qu’à savoir que nous pourrions nous y arrêter nous enchante, nous relisons les informations prises sur cette île avant de partir. Cette île appartient aux îles Salomon et nous devons déjà être entré dans les eaux de ce pays.

Le ciel était bleu délavé, clair, plein de cumulus et le soir venu s’est brusquement, brièvement, rosifié.

Nous apprécions enfin cette journée de navigation. Plus que 350 milles.

 

 

6ième jour

Cette nuit, la course folle du bateau a repris: un géant donnait de grands coups dans la coque, le bateau était secoué de soubresauts, nous étions des puces qui sautaient.

La mer décroisée s’est recroisée et les deux houles scélérates font leur travail de sape. Impossible d’apprécier cette journée si ce n’est le compteur qui décroit, plus que 250 Milles, et si ce n’est les bonnes crêpes qui sautent bien elles aussi, que Pierre fait dans un numéro d’acrobate.

Nous nous sommes rapprochés encore plus de Renell island.

La mer a des couleurs violines, la mer a le bleu fascinant des grandes profondeurs, le bleu de l’âme profonde, rien à voir avec le bleu fouetté, turquoise, parfois blanc, à la crête des vagues.

 

 

7ième jour

La nuit à manœuvrer, prendre un ris, le lâcher, allumer le moteur, reprendre un ris etc…

sous un ciel en feu, balayé par les éclairs.

Ce jour, le petit mulot marque le 22 décembre. Le vent a tourné nord, nous sommes au prés (avec « s » et sans calme): secousses incessantes, tout bouge.

De toute cette navigation a résulté une écriture à l’arraché, allongée, la tête relevée, la feuille horizontale, les mots écrits presque à l’aveugle.

La mer rend prisonnier, entre soi-même, sans ne plus pouvoir bouger, rien qu’à penser, à se souvenir, à imaginer, à s’évader par la pensée, nous n’avons jamais autant pensé à des sorcières, des êtres fantastiques, des géants.

Vu un thon rayé de jaune qui brillait dans la lumière comme un poisson d’or.

Vu une baleine et son jet de vapeur.

Nous avons pêché un thazard d’environ un mètre de long, et d’une vingtaine de kilos, bien réel, lui.

Il y avait une fausse île dans les contours d’un nuage, posée sur la ligne d’horizon. Ce pays noir était un long nuage de pluie qui, une fois crevé, a disparu. Parfois, des îles éphémères naissent à l’horizon, on croirait vraiment des îles, il faut vérifier sur la carte pour savoir qu’elles n’existent pas. Ce sont des îles de nuage, à l’existence incertaine qui disparaissent promptement, comme ces gens qui apparaissent et disparaissent soudain de votre vie.

 

 

8ième et dernier jour: 23 décembre 2016

Nuit très agitée, contre 15 nœuds de vent, le bateau allant à 5-6 nœuds, c’était les montagnes russes, seuls les enfants dormaient.

Au petit matin, l’île est apparue: complètement noire, complètement nuageuse, entourée d’un fatras de nuages de toutes formes, des bien gonflés, bien étirés, en strates, étalés comme à la spatule. L’île était fumante, comme si de la vapeur d’eau jaillissait d’elle, l’île était haute, la carte indiquait sa hauteur, l’île était sans nom sur la carte, appartenant au Georgia Group, Western Province- enfin, l’île était là.