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Yap – Tacloban

De Yap (Micronésie) à Tacloban (Philippines): du 26 avril au 5 mai 2017

 

En fin de journée, nous levons l’ancre, nous partons au moteur, Lucile souffle dans le grand coquillage et le long son se propage dans notre sillage, et au-delà, résonne dans toute la baie. Nous franchissons la passe, le ciel, la mer, absolument calmes: ciel gris bleu, nuageux, absolument séduisant. Deux bateaux de pêche nous précédent, l’équipage nous fait de grands saluts de la main, l’île de Yap s’évanouit, revient à l’état de rêve, infime, infime partie du monde. Où se trouve l’île sur la planisphère ? Ses raies mantas ne sont même qu’un rêve.

 

 

Le lendemain, jour de grand soleil et de petit vent, des fous, des frégates nous accompagnent. Petit cri aigu du gréement comme un cri d’oiseau.

Le jour suivant. Petit vent faiblard et mer pas de mer, soleil soleil. Trois paille-en-queue virevoltent en haut du mât, pétales de fleur blanche, où allons-nous? Des bateaux virevoltent autour de nous, alarment les alarmes. Bateaux de pêche et filets dérivant que nous voyions sur l’écran bien avant que nous les voyions près de nous. L’écran est parfois maculé de petits points et rien à l’horizon, nous sommes absolument seuls dans notre univers, eau et ciel. Ces hommes viennent de Taïwan, de Corée, partent pour des mois de pêche et de mer sur des bateaux brinquebalants. Que sommes-nous ?

Le lendemain. Harmonie, sérénité, beauté. Paix, paix, beauté, pacte avec la beauté. La mer est d’un tel calme, on est rempli d’elle. La nuit, au moteur, le jour au spi, on se prend à rêver à l’extraordinaire, pouvoir voler, voler comme nager, un petit tour dans le ciel et on revient au bateau -j’avais écris « on revient au beauté »-, comme ces oiseaux qui volent au-dessus de nous.

On fait des moyennes de 80 miles par 24 heures, de quoi affoler les écuries de course. On a pris le rythme de Yap, sa paix, sa lenteur, comme ses chansons sur lesquelles dansaient les femmes de Lamotrek, où les voix sont démultipliées, la musique ralentie.

On a rarement vu la mer aussi tranquille, la mer à peine ridée, encore dans sa jeunesse, le ciel, lui est comme souvent bouleversé par de petits nuages de toutes formes, des petits, ronds comme des O d’étonnement, des effilés, des champignons cumulus, à tous les étages du ciel qui en comporte bien une quinzaine. La nuit, les étoiles tendues sur fond noir, prennent la place de la couleur du ciel et de la mer, de la lumière, de la clarté du jour.

 

 

Les jours suivants.

Je ne me lasse pas de cette mer, elle est splendide, calme, à peine de petites vagues la parcourent comme un long frisson, de petites rides de la maturité froissent maintenant sa peau, son bleu profond s’étend à perte de vue, et l’horizon forme un cercle parfait; le ciel, lui, ponctué de nuages, ferme la voûte du bleu, bleu de mer, bleu de ciel, bleu des nuages.

 

 

Nous croisons encore de nombreux bateaux et filets dérivants dans un horizon lointain, seulement visibles sur l’écran de la carte électronique, car la mer, elle, est bien à nous, au vent, au soleil, à la pluie.

Spi déchiré dans un grain, le taquet de la drisse a cédé, le spi s’est affalé dans la mer et sous le poids de l’eau s’est déchiré. En même temps, nous n’avons rien perdu, les minutes passées à dix noeuds avec le spi gonflé, énorme, pendant que le grain derrière nous arrivait et faisait accélérer le vent; moment de fascination: la vitesse, la beauté de la mer sombre, la pluie qui a éclaté d’un coup, comme ça. On se disait que quelque chose allait finir par craquer.

Pendant deux jours, le vent a accéléré, la mer toujours aussi sereine: 12 nœuds de vent, pour une vitesse de cinq nœuds, juste avec le génois. Pas mal.

La nuit dernière une baleine s’est approchée du bateau, nous étions presque endormis quand nous avons entendu son souffle, Pierre a aperçu son dos et m’a appelé, la nuit était presque noire, et on entendait le souffle puissant sortir de l’eau.

La vie quotidienne : on lit, on regarde des films, on écoute de la musique, on écrit, on cuisine, on joue aux cartes, aux poupées, aux jeux sur la tablette, on fait de la gym, au milieu d’une mer unique, aux changements infimes, dont nous sommes les seuls témoins. Mer, ciel, nuages, nuit, étoiles, lune, aux infinies variations, au spectacle intime.

 

 

On oublie de compter le temps – quel jour sommes-nous ? Depuis combien de temps sommes-nous partis ? – sont des notions qui s’estompent. Dans une autre vie, on s’est épuisé à compter le temps, le surveiller, le chronométrer, le compresser pour y faire entrer le maximum de choses. Une vie pleine, toujours prête à craquer, intense, parait-il. Tout le travail de ce voyage a été de déconstruire le temps, de le désemplir, de le vider, de le retrouver, dans toute son essence, de le faire sien.

Était-ce hier ou avant-hier que nous avons vu deux demi-arc-en ciel ; et ces oiseaux, quand les avons vus ? Où ? À quelle latitude, à quelle longitude ? À quel degré, quel degré d’incertitude? Était-ce dans la zone de pêche ? Trois paille-en-queue groupés, un autre solitaire. Et cet objet qui flottait à la surface, comme un cylindre ? Plus de repère de temps, qui n’ont plus aucune importance.

Seule la trace du bateau sur l’écran atteste le chemin parcouru.

Lorsque les îles sont apparues, nous avons regardé la date et l’heure: nous étions le 4 mai, il était 16 heures. Les îles sont apparues devant nous, en même temps qu’un demi-arc-ciel, sur l’arrière du bateau. Deux petites îles noires, droit dans le soleil, dont le relief assez plat se dessine à l’horizon. Une autre île plus longue et plus haute, comme un nuage aux contours cotonneux. Îles des Philippines, îles d’Asie, ce chemin, cette lenteur, qui nous fait accomplir ce pas de géant, passer d’un continent à l’autre, de l’Océanie à l’Asie.

Toute la nuit au moteur, à veiller à l’avant du bateau, à écouter de la musique, en avançant dans la nuit, j’ai vu une comète fondre dans le ciel, des étoiles filantes s’y écrire comme des virgules brûlantes, et cette mer qui vibre au passage du bateau, en résonance.

Dans l’à peine jour, quand le noir s’estompe, fond, devient gris, de plus en plus clair, blanc, des dauphins, des petites ombres dansent devant les étraves du bateau.

C’est le petit matin, nous arrivons dans le grand golfe de Tacloban, le jour s’est levé, le soleil est venu par petites touches de rose, de bleu, de doux sur les collines environnantes. Petit matin du vaste monde.

 

 

Nous croisons des pirogues de pêcheurs à double balanciers, des filets de pêche matérialisés par des bouées: c’est un parcours d’obstacles qui requiert toute notre attention. Nous nous enfonçons dans le golfe, nous longeons des terres vallonnées qui paraissent peu habitées, quelques villages aperçus au bord de la mer, de hauts rochers noirs surgis sur le côté. La mer est complètement plate, nous sommes comme sur un fleuve entouré de montagnes, comment imaginer le super cyclone qui a dévasté les lieux en 2013 ? Au fond du golfe, la ville de Tacloban, que surplombe un lourd nuage de pluie.

 

Fuite sur le silencieux du moteur, spi déchiré, taquet de drisse arraché, mat à régler, on arrive, complètement dépendants de ces choses matérielles, de la technique et sans doute, libres.

 

The mantagirls

Yap est réputée pour ces raies Manta.

Sur les murs de l’hotel « Manta bay resort » s’étalent les portraits des autochtones marines, elles ont toutes un prénom, Snowie, threestep, blackbeard…

Nous embarquons sur un tour pour aller au nord de l’île rencontrer les ailes des mers.

 

Malheureusement, si le soleil est partiellement au rendez-vous, les raies n’ont pas de montres et ont oublié l’heure du rendez-vous!

 

Yap – land of the stone money

 

Après cinq jours de traversée, nous arrivons sur l’île de Yap.

 

Je n’ai d’abord rien écrit sur Yap, Le temps est devenu tellement immobile à Yap, que les mots n’arrivaient plus à rester, ils s’échappaient pour aller nulle part, impossible de retenir quelque chose de Yap, impossible par les mots de retenir le temps, d’habitude les mots adorent ça, l’ennui, le temps pour rien, l’attente.

 

Yap, ce n’était pas de l’ennui comme on le croyait mais l’esprit de Yap, le temps de Yap. C’est ce qu’on a enfin compris sur la fin de notre séjour à Yap, lorsqu’au bout de trois semaines passées ici: trois semaines d’attente d’un moteur de guindeau qu’on avait commandé et qui devait arriver par colis postal- nous avons rencontré les seuls Français de l’île, Vincent et Marielle et leurs enfants, Angelina et Quentin. Ils ont vécu plusieurs années à Yap pour le travail de Vincent auprès de la corporation, la compagnie qui produit l’électricité, sont partis de Yap puis y sont revenus, Ah toutes ces îles de part le monde qui vous capturent et ne vous lâchent plus. Ils sont tombés sous le charme de Yap, sans pouvoir y renoncer. Yap, ça pouvait sonner comme « Yep, Yep, Yep » quelque chose de léger, d’amusant, de futile. Pourtant. Yap ce n’était pas la beauté de cette île qui vous retenait, ici pas de plage de sable blanc, d’eau turquoise, pas de beauté éblouissante, de pêche miraculeuse derrière son bateau, de tuba qui vous rendait l’esprit léger. Yap, la tranquillité, le calme. Yap pouvait devenir un univers à elle toute seule, au milieu de cet océan, entre mer des Philippines et océan pacifique, on sentait la transition, ici, ce fameux « temps calme » qu’on impose aux enfants pour se reposer. Ce temps mort, oui, après s’être arrêté dans les îles de Lamotrek et d’Elato, le temps avait fini par ne plus être, par mourir, à Yap. Les journées s’écoulaient entre faire la classe, et aller à la piscine du Raie Manta hôtel, le « bar bateau », comme nous l’appelions entre nous, cette jonque des Philippines qui était amarrée devant l’hôtel et qui servait de bar-restaurant. Nous nous déplacions de notre bateau au bar bateau, de la mer à la piscine. Autant dire que le déplacement était infime. Entre, qu’y avait-il? Une route goudronnée, quelques épiceries, des bâtiments administratifs. Les habitations étaient enfouies dans la végétation des collines qui entouraient Yap: on ne les voyait pas. L’île était longue, légèrement en relief, paresseusement étalée, langoureusement blottie avec trois autres petites îles à l’intérieur d’une barrière de corail. Aux abords des îles, une mangrove, faite de branches enlacées. Rien d’excessif même dans sa géographie: des contours doux, des collines amènes, une mer docile . Dans un sursaut inespéré d’activité, généré par le jour de mon anniversaire- Ah bon, un an de plus?-, nous sommes allés avec un bateau à moteur de l’hôtel, de l’autre côté de l’île, empruntant le couloir de navigation dans la mangrove, qui débouchait sur un bras de mer puis de l’autre côté de la barrière de corail. Il aurait pu se passer quelque chose d’extraordinaire, la rencontre avec des raies mantas dont les nombreuses photos affichées dans le hall de l’hôtel attestaient la présence, mais cette île décidément résistait à l’exceptionnel, à l’extraordinaire, à l’éblouissement et nous n’avons pas vu de raies mantas. Tortues, requins, poissons à foison, c’était la part de beauté délivrée par l’île, et c’était bien suffisant, nous semblait-elle dire. C’était tranquille, très très tranquille. Dès qu’un rare Français se pointait à l’hôtel, il était pris d’assaut, par les enfants, par nous: nous étions avides de parler ces chers mots français, nous qui vivions dans l’univers des mots anglais depuis plusieurs mois . Avec Vincent et Marielle, nous avons aussi beaucoup discuté et nous avons enfin compris ce qui fait le charme de Yap: Peu de commerce, pas de plage, pas grand chose à faire,une petite île: dans le peu, c’était peut-être ça le bonheur. A la laverie, une femme m’a dit: « la première fois que j’ai voyagé en dehors de l’île, c’était grâce au travail de mon fils qui est militaire, je suis allée au Canada, au début, je ne voulais pas me couvrir, je détestais porter tous ces habits sur moi, je suis tombée malade, puis je me suis habituée, j’ai découvert la neige, quand ça tombe sur la peau, ça fait comme. » là elle m’a dit un mot en anglais que je n’ai pas compris, et je ne sais pas finalement si ce n’était pas plus important de ne pas comprendre, d’imaginer ce que fait un flocon sur la peau lorsqu’on a vécu toute sa vie sur une île tropicale.

 

Au bout de quatre semaines, le moteur du guindeau est arrivé, Pierre l’a installé. Quitter Yap, c’est dire adieu à la Micronésie, à l’Océanie, à ce continent d’îles et d’eau, si propice à la navigation. Plus de neuf mois pour traverser l’Océanie, avec ces presque quatre mois imprévus passés en Micronésie, plus qu’une gestation, la mer est cet espace sans compromis pour être un homme. Nous partons vers les Philippines, vers un autre continent, l’Asie.

 

Visite chez la femme de Steve, le principal d’Elato. Elle a accouché à Yap pendant notre séjour. Son père, Peter est le chef de Lamotrek 

 

 

Les deux mondes

Le triangle des Bermudes a ouvert une succursale dans le pacifique nord, entre les iles Marshall, les iles Mariannes et les iles Moluques. Nous nous y sommes engouffrés, confiants, pensant faire une rapide navigation de deux ou trois semaines qui nous mènerait aux îles Philippines. Nous n’en sommes ressortis que 3 mois après!

 

Que c’est-il passé? Nous avons traversé une succession de failles spatio-temporelles.

Il y eut d’abord la faille de Nukuoro où le temps s’immobilise. Les habitants, le parfum de Polynésie, le lagon qui resplendit, la course qui s’apaise.  Au bout de 10 jours, nous repartons en ayant eu l’impression de n’y rester que 3.

 

Lamotrek et Elato, autres failles. Nous sommes propulsés dans le passé, à l’époque de la Polynésie de Paul Gauguin.

Lamotrek et Elato, deux minuscules îles comme deux perles dans leur lagon. petites comme une dizaines de terrain de football. Deux confettis où des hommes vivent des ressources de la mer et de la nature.

A Lamotrek et Elato, Les hommes pêchent, les femmes cultivent. On y sculpte des pirogues, on tresse des cordes de fibre de coco, on fabrique des nasses à poissons, on tisse, on tresse. On mange du poisson, de la coco, du taro, du uru, des poulpes et parfois de la tortue. Le soir on se rassemble. On boit le « tuba », la sève du coco fermentée patiemment recueillie trois fois dans la journée en grimpant en haut des cocotiers. On discute, parfois on chante. Hommes et femmes vivent presque nus, avec juste un pagne autour des reins.

Les jours s’écoulent. Les jours passent. Nous n’avons pas cherchés à les retenir.

Petit à petit, notre monde nous a rattrapé. le gaz qui s’épuise, plus de sucre, plus de lait. le nutella a disparu depuis longtemps, remplacé par le sirop de coco. Feuille à feuille, le papier de toilette disparaît. Il va falloir repartir.

 

Encore une faille, électro-mécanique cette fois. Le guindeau est tombé en panne, moteur grillé. Quel est le message? Est-ce Caracolito qui a voulu nous empêcher de remonter l’ancre pour que nous demeurions?

 

Il faut réparer. Nous sommes repartis. Nous croisons des cargos. Du nord au sud et du sud au nord. L’A.I.S. nous en montre jusqu’à 6 simultanément. Des monceaux de conteneurs, des tonnes de biens à consommer slaloment entre ces îles qui ne savent pas ce que consommer veut dire.

A Yap. dernière des îles de la Micronésie, capitale de l’état, nous pensions y retrouver la « civilisation », nous n’en trouverons que les balbutiements. Dans la file d’attente de la banque, une femme aux seins nus, les habitants qui hésitent, qui s’accrochent au mode de vie ancestral. La musique  s’immisce, les casquettes apparaissent.

Une connexion Internet balbutiante nous permet de commander un nouveau moteur de guindeau, guère plus.

Nous attendons le moteur. Les jours s’écoulent de nouveau. Un mois entre école, sortie à la piscine de l’hôtel Manta Bay, glaces au « Bar bateau » et visite quotidienne à l’immigration. Car les services d’immigration de l’état de Yap dépendent de ceux de Palikir à Pohnpei: nous avons pénétré dans une nouvelle faille, administrative cette fois. L’immigration de Palikir nie notre présence. pendant 3 semaines Dominic, l’officier de Yap réclamera quotidiennement à son chef une décision nous concernant. Pas de réponse: nous n’existons pas. notre bateau n’est pas au mouillage devant les bureaux du port.

Le moteur du guindeau est arrivé, nous relevons l’ancre. nous quittons Yap où nous ne sommes pas resté 30 jours.

 

Le 5 mai 2017 nous arrivons à Tacloban, aux Philippines, Le dernier tampon de nos passeports est celui de Pohnpei, le 9 février 2017. Où étions nous entre ces deux dates? dans la faille entre les deux mondes…

 

2mondes

 

 

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