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Des Vanuatu aux Salomon

Des îles Vanuatu aux îles Salomon du 16 décembre 2016 au 23 décembre 2016

 

premier jour

Après un faux départ, lié à un changement de pièce sur le dessalinisateur, nous étions enfin prêts à partir.

Le ciel était entièrement couvert de nuages sauf un triangle qui s’était formé devant le coucher de soleil et révélait une couleur rose, et comme un talisman, l’oeil d’un dieu égyptien dans ce triangle nous regardait partir et nous filions, nous voguions . Vent arrière de 15 nœuds, mer agitée tourmentée, autour de nous, les îles n’étaient plus que des ombres.

Passer devant Gaua et ne pas s’arrêter, tourner à gauche, vers l’ouest dans un grand empannage, et filer, fuir vers l’ouest, loin de la zone touchée potentiellement par les cyclones, prendre le large, éviter la zone intertropicale de convergences, là où convergent les vents de l’hémisphère nord et sud, pour provoquer une absence de vents. Une dépression tropicale venait de se former au large des Fidji, nous pensions à Noël resté dans la zone.

 

2ième jour,

Pluie, le vent qui accélère, ralentit, moteur, voile, empannages pour changer de direction et chercher le vent et toujours cette mer hachée qui n’offre aucun repos. Nous nous sommes allongés pour regarder le ciel au début de la nuit. La pluie tombait, les petites gouttes s’écrasaient contre nous, les étoiles dans le ciel, les petites gouttes, les impacts de météorites qui s’écrasaient contre nos corps sans défense, toute la lumière des étoiles qui filait goutte à goutte sur nous. La pluie devient trop forte, il faut rentrer, se mettre à l’abri et rompre le sortilège. Sous les tropiques, la pluie est une bénédiction. Elle ne nous mouille pas, elle nous saoule.

 

3 ieme jour

Monotonie. Langueur s’empare de nous. Le bateau file, nous secoue. Le temps a filé, où le temps a t-il filé? qu’est ce que j’ai fait de toutes ces années? On écoute en boucle les mêmes chansons et dehors, la même chanson: la mer, la mer. Ciel nuageux, gonflé de nuages, houle croisée. Allongés, allongés, à écouter une histoire d’Harry Potter qui n’en finit pas. Dans la vitre du hublot, une autre mer s’est formée, une vague qui roule, qui roule comme un tube de surfeur. Le spi énorme nous pousse toujours plus en avant, voulant tricher avec la lenteur, la vague roule, la longue houle, autour la même mer, on ne sait plus, la tête est prise dans un étau, le ventre en vrac, au bord de la nausée, pensées confuses qui prennent le rythme de cette longue houle, qui ne veulent plus s’arrêter.

Quatre oiseaux en visite, on dirait des pailles-en-queue, -est ce possible si loin?-s’arrêtent au dessus du bateau , nous regardent, écrivent-ils leur journal de bord? Un pétrel marron tacheté fend notre trajectoire, un poisson à 200 m de nous, nous a suivi une partie de la nuit. Pour qui nous prend t-il? Les enfants sous la table jouent et se disputent, les rires fusent, les pincettes aussi. Le vent est maintenant de 15 nœuds, vent arrière. Vol plané de fous autour de nous.

 

 

4 ième jour

Petit jour après la longue nuit, on sort et on se prend une giclée de vent et de soleil. Lucile nous raconte ses rêves de gâteau à la chantilly, et de gâteau aux bonbons.

Mouettes, fous, pailles-en-queue sont nos compagnons du petit matin. On imagine des poissons dans les crêtes des vagues. Rien ne mord à nos hameçons. La mer est vide, je ne vois que ça! Les nuages sont devenus espacés, ils occupent le ciel par grosse bouffée. Le ciel part du blanc, près de l’horizon, à un bleu lumineux au centre, la mer est d’un bleu nuit. Spi et re-spi, comme on respire.

Il ne faut lire dans ces lignes que l’ennui, l’infini solitude, la terre si loin, la mer si ronde, le ciel immense au-dessus de nous, avec ces oiseaux arrachés au néant. Le soir, les nuages se font d’un blanc intense, d’une telle pureté, maculée seulement par les taches des oiseaux qui volent.

Dernier oignon, dernière papaye, nous sommes à la moitié du voyage, avant le grand empannage, la longue remontée vers le nord, vers les Salomon.

La coque du bateau se reflète dans l’eau et ajoute sa couleur à la couleur de la mer: la mer devient d’un bleu d’encre entre les planches de la plate-forme à l’arrière, un bleu intense, violent, violet.

Nous passerons cette nuit près d’un reef, au nom improbable, « Indispensable reef » rien que ce reef, la présence d’une terre, d’un simple anneau de corail posé sur le grand océan, nous fait rêver.

Houle venant du sud-est, houle venant du sud-ouest, ajoutées aux petites vagues plein de crêtes, c’est ce qu’on appelle une mer croisée, qui a pour effet de nous malmener, nous jetant d’un côté et de l’autre. Résultat: un grand inconfort et une seule envie, arriver à bon port le plus rapidement possible.

 

 

5 iéme jour

le vent est tombé à 8 nœuds, il vient de l’arrière, le spi nous tracte à 4 nœuds. La mer croisée s’est décroisée. Cela change tout: plus de mal de tête ni de mal de ventre. Nous pouvons vivre à peu près normalement, nous sortons une grosse pile de « Popi » et de « belles histoires » et nous nous précipitons pour lire plein d’histoires, en particulier, toutes les histoires liées à Noël. Nous avons sorti le calendrier de l’avent et le petit mulot annonce qu’on est le 20 décembre. Les enfants ont soigneusement choisi les tenues avec leur accessoire pour le réveillon et le jour de Noël et les ont accroché aux patères des cabines avant de partir. Elles ont fabriqué des flocons de papier rouge blanc, vert et bleu qui décorent les hublots. La crèche fabriquée avant le début de la navigation attend dans sa boite. Chaque jour, on rêve de Noël, de ce qu’on va manger, là on on va se baigner, de pic-nique sur la plage, comme on faisait dans les îles polynésiennes.

Les visiteurs de la nuit et du jour: un gros fou noir a passé la nuit sur le bateau, ce n’est qu’au lever du jour que nous l’avons surpris et il s’est envolé. Deux pailles-en-queue cherchent à attraper notre hameçon et tournoient au-dessus de nous, une mouette, un autre fou, les oiseaux sont avec nous. Un papillon est même venu un bref instant virevolter au-dessus du bateau, comme une apparition féérique puis est reparti. La VHF a grésillé, des voix entendues puis perdues. La proximité relative ( environ 100 milles de nous) de l’île de Rennell explique ces apparitions, les voix, les animaux. Rien qu’à savoir que nous pourrions nous y arrêter nous enchante, nous relisons les informations prises sur cette île avant de partir. Cette île appartient aux îles Salomon et nous devons déjà être entré dans les eaux de ce pays.

Le ciel était bleu délavé, clair, plein de cumulus et le soir venu s’est brusquement, brièvement, rosifié.

Nous apprécions enfin cette journée de navigation. Plus que 350 milles.

 

 

6ième jour

Cette nuit, la course folle du bateau a repris: un géant donnait de grands coups dans la coque, le bateau était secoué de soubresauts, nous étions des puces qui sautaient.

La mer décroisée s’est recroisée et les deux houles scélérates font leur travail de sape. Impossible d’apprécier cette journée si ce n’est le compteur qui décroit, plus que 250 Milles, et si ce n’est les bonnes crêpes qui sautent bien elles aussi, que Pierre fait dans un numéro d’acrobate.

Nous nous sommes rapprochés encore plus de Renell island.

La mer a des couleurs violines, la mer a le bleu fascinant des grandes profondeurs, le bleu de l’âme profonde, rien à voir avec le bleu fouetté, turquoise, parfois blanc, à la crête des vagues.

 

 

7ième jour

La nuit à manœuvrer, prendre un ris, le lâcher, allumer le moteur, reprendre un ris etc…

sous un ciel en feu, balayé par les éclairs.

Ce jour, le petit mulot marque le 22 décembre. Le vent a tourné nord, nous sommes au prés (avec « s » et sans calme): secousses incessantes, tout bouge.

De toute cette navigation a résulté une écriture à l’arraché, allongée, la tête relevée, la feuille horizontale, les mots écrits presque à l’aveugle.

La mer rend prisonnier, entre soi-même, sans ne plus pouvoir bouger, rien qu’à penser, à se souvenir, à imaginer, à s’évader par la pensée, nous n’avons jamais autant pensé à des sorcières, des êtres fantastiques, des géants.

Vu un thon rayé de jaune qui brillait dans la lumière comme un poisson d’or.

Vu une baleine et son jet de vapeur.

Nous avons pêché un thazard d’environ un mètre de long, et d’une vingtaine de kilos, bien réel, lui.

Il y avait une fausse île dans les contours d’un nuage, posée sur la ligne d’horizon. Ce pays noir était un long nuage de pluie qui, une fois crevé, a disparu. Parfois, des îles éphémères naissent à l’horizon, on croirait vraiment des îles, il faut vérifier sur la carte pour savoir qu’elles n’existent pas. Ce sont des îles de nuage, à l’existence incertaine qui disparaissent promptement, comme ces gens qui apparaissent et disparaissent soudain de votre vie.

 

 

8ième et dernier jour: 23 décembre 2016

Nuit très agitée, contre 15 nœuds de vent, le bateau allant à 5-6 nœuds, c’était les montagnes russes, seuls les enfants dormaient.

Au petit matin, l’île est apparue: complètement noire, complètement nuageuse, entourée d’un fatras de nuages de toutes formes, des bien gonflés, bien étirés, en strates, étalés comme à la spatule. L’île était fumante, comme si de la vapeur d’eau jaillissait d’elle, l’île était haute, la carte indiquait sa hauteur, l’île était sans nom sur la carte, appartenant au Georgia Group, Western Province- enfin, l’île était là.

 

 

Grain de nuit

Il fait noir. Les étoiles sont éteintes. Seul, le feu de mat résiste, dernier astre au milieu du ciel.

Le vent est monté, nous avons pris deux ris. Les coques sifflent, Le sillage s’étend, se manifeste, bruisse, glougloute, gémit. Nous allons vite. La mer est plate. L’écume est phosphorescente, nous glissons au milieu d’ondines scintillantes. Le paysage est figé. Nous sommes immobiles au milieu de cette mouvance, au cœur de l’obscurité.

 

Je ne vois rien, que le noir.

Je ne vois rien et c’est magnifique.

 

Un éclair, un flash, les nuages apparaissent, daguerréotype tremblant. Mer noire, mer plate, sans vagues, le ciel s’illumine, une bande lumineuse sur l’horizon, les voiles sont des ombres chinoises, les nuages se parent de nuances d’argent.

 

De nouveau le noir. Le ciel s’est éteint. Nous sommes dans un vivant tableau de Soulage.

 

Encore un éclair. Devant nous, l’orage se précise. Au loin la foudre lui répond comme un écho optique. Les dieux du tonnerre se sont donnés rendez-vous. Zeus d’un coté, Thor de l’autre, chacun montre sa gloire.

 

Le noir est omniprésent.

 

Je compte les secondes.

Une, deux, trois, quatre, cinq, six, éclair !

une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, éclair !

un, deux, trois, quatre, cinq, éclair !

 

Pas de grondement. Uniquement l’assourdissant silence des coques qui fendent l’eau et du vent qui s’engouffre sous ma capuche. J’évoque ma silhouette, noire, emmitouflée dans le ciré noir d’Arnaud. Noir sur noir.

 

A chaque éclair le même paysage apparaît, identique et pourtant si différent. L’orage se précise nous fonçons sur lui. Que faire ? Le laisser au vent ? Sous le vent où va-t-il ? Je remonte au vent. Flash, nuit, Flash nuit Flash, nuit… Daguerréotype, nuit, daguerréotype nuit… les images se succèdent. Peu à peu les éclairs se meuvent sur notre vent puis glissent sur notre arrière. Le vent s’apaise.

 

Et nous voguons dans le noir, dans ce grain de nuit qui contient notre monde.

Vanuatu – Sandwich à Olry…

 

Port Sandwich, pris en sandwich entre deux rives, dans la beauté pure, entre des montagnes boisées et une mer devenue miroir tellement elle est calme, une mer devenue ciel tellement le ciel s’y reflète et qu’il devient l’égal de la mer. Une cocoteraie, des vaches, des cochons, des chiens, des fleurs, des pamplemousses, des citronniers, des arbres à pain, toutes sortes de fruits à vrai dire (papayes, mangues, …), des habitations (soit en béton/ toit en tôle soit en bois avec des palmes de cocotiers, soit un mélange des deux les murs en béton avec un toit en palme), des villageois : un vieux monsieur nous attend sur la plage ; il nous a vu entrer dans la baie à la voile et vient discuter un moment avec nous : savoir d’où nous venons, qui nous sommes..;il accompagne, avec le maître d’école, l’archéologue venu étudier les vestiges de la base de l’armée française installée à Port Sandwich, nous prenons le chemin principal dans la cocoteraie discutant avec le maître d’école : il a la barbe grisonnante, les yeux qui pétillent, on voit qu’il jubile à répondre à toutes nos questions et nous explique comment fonctionne le village, quel est le nom de tel arbre ou telle plante, au fur et à mesure que nous avançons sur le chemin, nous sommes salués par les villageois, qui nous donnent des fruits, leurs sourires, leurs bonne humeur, nous passons devant le tam-tam traditionnel qui est fait pour les fêtes, un tronc fendu sur le bas avec une tête sculptée en haut, les villageois font du coprah et le vendent pour qu’il soit ensuite transformé en huile, les noix de coco sont séchées avec du feu dans un séchoir en bois ; cette technique vient juste d’être introduite en Polynésie où traditionnellement on fait sécher les noix de coco au soleil. Au milieu du chemin, on se retrouve autour du lakamal, avec les hommes qui boivent du kava. Nous laissons ensuite notre accompagnateur qui continue tout au bout de la route vers sa maison, le village de Port Sandwich est très grand et s’étend jusqu’à l’entrée de la baie. nous rebroussons chemin pour aller au bateau. Nous refaisons les mêmes salutations aux mêmes gens qui ça et là se reposent dans leur jardin, nous croisons un villageois ancien policier français, qui nous retrace sa carrière de Tahiti jusqu’en Nouvelle Calédonie en passant par la France, il a même fait la circulation à Marseille ; en 1980, au moment de l’indépendance du Vanuatu, il a préféré démissionner et revenir dans son village. Quand on pose la question de l’indépendance au maître d’école, on se rend compte que cette question est totalement superflue tellement l’indépendance va de soi et est maintenant ancrée sans retour dans l’histoire de ce peuple.

 

Au bord de l’eau, près du quai, un feu a été allumé, on mange du laplap -de la banane plantain mélangée à du lait de coco agrémentée ici de palourdes et cuite dans des feuilles de bananier-, on grille des morceaux de cochon au bout d’un morceau de bois, on est invité à partager ce repas avant de regagner notre bateau. Marcelline, dans les bras le petit bébé de sa belle-sœur, nous a accompagné sur la fin du chemin et nous propose de revenir le lendemain pour prendre des papayes de son jardin.

 

La baie est infestée de requins paraît il, tous les guides le mentionnent même le noonsite du si rationnel Jimmy Cornell y déconseille formellement la baignade, pourtant on a beau observer la surface, aucun aileron de requin, aucun bruissement ou frôlement de squale, lorsqu’on en parle avec le maître d’école, il nous indique que c’est de la magie noire, une croyance fondée sur l’imagination, Marcelline elle nous affirme avoir vu des requins mordre sa pirogue et réprimande Alice si elle se baigne trop loin de la plage..

 

une pirogue faite d’un seul tronc d’arbre avec un flotteur sur le côté, traverse la baie, au rythme des coups de rame, va d’une berge à l’autre, laisse la marque de son sillage, une trace blanche dans la mer fendue, dans la mer se reflètent tous les arbres, la forêt entière qui s’épanche, répand son entité verte comme le ciel y répand sa masse gracile, ses volutes fugaces

vaches et veaux, taureaux sous les cocotiers, ou à la plage, se baignent dans l’eau de mer, ramenés par les chiens de garde, cochons en liberté dans les allées de terre du village

cacaotiers aux gousses grasses, banians aux multiples racines, badaniers, navel, pamplemousses roses, ignames, manioc, cannes à sucre, poivrier

appareil à pétrir le pain, appareil à broyer les racines de kava, plantés sur une dalle de ciment au centre du village, rouillés, comme des vestiges insolents de technologie

un homme est mort aujourd’hui,tout le village en parle, le même jour, la meute des chiens ramène le cochon qui sera tué pour le mariage de la semaine prochaine

un petit cargo arrive de nuit pour prendre et déposer des passagers, un autre bateau tout rouillé, penchant d’un côté, toute la nuit, les marins font la fête sous l’arbre près du quai.

une vingtaine d’enfants nous suivent lorsque nous marchons dans le village, ils se déplacent en bande, accélèrent, ralentissent en même temps, partent dans la même direction, éclatent de rire à tout bout de champs, leurs visages mobiles, leurs yeux ronds, leurs dents éclatantes, leur sourires, leurs corps agiles, l ‘avenir, quel sera leur avenir ?

 

 

 

Port Olry

 

Une dernière escale sur l’île de Espiritu Santo, à Port Orly, il y a un » Paris, Texas », un « Olry, Vanuatu ». Ici pas d’intense trafic aérien, juste le bruit intense des grillons et des cigales, les chants des oiseaux (tourterelles, hirondelles…) les cris des enfants qui jouent et se baignent au fond de la baie, le souffle de la mer qui roule, le bruit sec de la rame qui s’enfonce dans l’eau , on est entouré de forêt, un gros village est caché à l’intérieur, pourtant si près de la rive, mais on ne le voit pas, rien ne transparaît, la nature est intacte, l’homme insoupçonné.

Anatom, Tanna, Erromango, Efaté, Malakula, Espiritu Santo, Ambrym, Pentecôte, Ambae, Maewa,, pour ne nommer que les îles les plus grandes, plus au Nord, les îles Banks et Torres, des îlots des iles, aux noms chantants, les maleskines, malo aux noms changeants, Malakula s’appelle aussi malleculo, Gaua se nomme aussi Santa Maria, Raga est Pentecôte, le Vanuatu, les Vanuatu pourrait-on dire plus justement, plus de 80 îles, qu’en avons nous connu ? Je voudrais encore une fois en les nommant tenter d’étreindre ces îles, prendre leur douceur, le bruit de la forêt, l’aménité des gens.,

Iles abordées il y a environ 3500 ans par les papous de Nouvelle Guinée, révélées à l’Europe en 1606 par le portugais Pedro Fernando de Queiros qui croyait avoir découvert le continent austral et baptisa ainsi « terra austral del espiritu santo « l’île de Espiritu Santo, redécouvertes en 1768 par Louis Antoine de Bougainville qui les baptise « Nouvelles Cyclades », puis par James Cook en 1774 qui les renomme « Nouvelles Hébrides », puis abordées par La Pérouse, d’Entrecasteaus, Bligh qui apporta l’arbre à pain, Dumont d’Urville, .. îles fouillées, appropriées, violées, raptées lors du blakbirding, soumises, dépendantes et pourtant îles intactes, libres…

Fidi, Tonga, Vanuatu, plus au nord Wallis et Futuna, Samoa, Suvarov, des centaines et des centaines d’îles, plus d’îles inconnues que d’iles que nous avons connues, tant d’îles à toucher, de peuples, de mondes à connaître, et nous ne faisons que passer…

 

 

Vanuatu – Ile d’Efate

Port vila

Comme toute ville, Port vila est un lieu de rencontres, on y retrouve d’abord l’équipage d’Aldébaran, Raphaël et Emma, sur un fantasia jaune, rencontrés à Tanna et on rencontre Michel du fameux pogo40 « Catch me » basé en Nouvelle Calédonie, qui est aussi le voisin de maison et ami de Mimi et Olivier que nous avons rencontré il y a plus de 10 ans lors de notre passage du canal de Panama ; la mer est si petite si vaste.

Un jour de pluie, nous allons au musée du Vanuatu : une visite est organisée pour une classe venue d’Australie, menée en Français par un guide Jimmy et filmée pour la province nord de Nouvelle-Calédonie, on y découvre parmi d’autres objets, les masques de cérémonie, les tambours qu’on appelle « tam-tam » de plusieurs mètres de haut, sculptés, les poteries Lapita avec des frises de dessins géométriques, des herminettes faites d’un manche en bois et de coquillage pour tailler, des répliques de pirogue traditionnelle, à la fin de la visite, le guide fait une séance de dessins sur sable, appelé « ruerue » : ce sont des dessins faits sans lever la main qui représentent un des éléments de l’histoire qui est racontée en même temps que le dessin est fait ; cela ressemble à des arabesques, certains sont figuratifs avec des formes animales ou végétales, cela a la beauté d’un long souffle, d’un geste d’accomplissement avec un début et une fin définis. Nous sommes les deniers visiteurs à sortir du musée et le guide nous invite à le suivre pour boire du kava. Près du musée sont installés des petits baraquements en bois qui servent d’abri aux buveurs de Kava, venus ici le soir, on peut aussi acheter des petits en-cas, des cacahuètes et même des brochettes de coquillages crus…Nous retrouvons l’équipe du tournage, participons même à un bout de film..le kava est servi dans des petits verres, on se tourne vers la ville, on en jette un peu par terre par geste cérémoniel puis on le boit, le goût est anisé, très bon, allez on en reprend un deuxième ; le kava du Vanuatu est dit-on le meilleur du Pacifique et les ni vanuatus l’exportent même, sous le toit de palme, à l’abri de la pluie, à manger des cacahuètes et à regarder tomber la pluie, la conversation avec le guide et l’équipe de tournage dérive forcément, le guide est en fait un kanak de Nouvelle-Calédonie faisant partie du programme « France Volontaire » il nous décrit des comportements types de Français avec une pointe d’ironie, nous explique comment le Vanuatu est un modèle pour les kanaks concernant leur parcours vers l’indépendance, de la magie noire qui permet de transporter des personnes de Nouvelle-Calédonie au Vanuatu en passant par un arbre. Elanore qui lit avec avidité les histoires du sorcier Harry Potter est interloquée. Ce guide s’est tellement adapté au Vanuatu et est si conscient de son identité d’homme du Pacifique qu’il parle le bichlamar et fait la visite du musée national du Vanuatu. Il a été avec ce même programme « France volontaire » à Madagascar et il est l’exemple même de ce qu’ apporte d’ouverture d’esprit une expérience de vie à l’étranger.

Avec l’équipe du tournage,en particulier la directrice de la boite de production, on discute des kanaks, de la présence française en Nouvelle-Calédonie, de leurs points de vue si différents du guide et pourtant si complémentaires, cohabitants même.

Port Vila – on l’appelle ici « Vila »-est une drôle de ville, comparée au reste du pays, qui regorge de boutiques d’articles en détaxe pour les étrangers de passage, de supermarchés bien achalandés, de complexes touristiques, de casinos, de restaurants et d’hôtels, à certains endroits de la baie qui borde la ville, les eaux sont cristallines et les activités de loisir (kayak, plongée, baignade) se font au sein même de la baie, on est dans un autre monde, même pour les ni vanuatus qui y habitent, on vient là pour les affaires, le Vanuatu est un paradis fiscal avec des banques bien opaques comme la magie noire, on vient là, déversés en masse par les nombreux paquebots qui y font escale. les prix y sont exorbitants ( comme à Tahiti ou à Nouméa) il y a même un lycée français du nom de Jean Marie Gustave Le Clezio- je ne sais pas ce qu’il en pense, JMG? Le coût de scolarité par trimestre est de 1300 euros, dès le collège, ici au Vanuatu, la scolarité des enfants est payante, 100 vatus par trimestre, 1/3 des élèves du primaire vont au collège et s’arrête souvent au second trimestre, faute d’argent…260 euros c’est le salaire minimum au Vanuatu.

Sur le bord de la rive de l’île centrale, une dizaine de voiliers échoués victimes du cyclone PAM.

 

 

Havannah Harbour

Une baie profonde, des collines boisées aux alentours, des tortues apparaissent à la surface pour respirer, un petit ponton, va et vient des petits bateaux à moteur.

 

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Pieds d’Alice (qui a encore subtilisé l’appareil photo pendant la traversée vers Havannah Harbour!)

 

La forêt s’étend jusqu’au rivage, nulle habitation ou population ne se voit pourtant on aperçoit un morceau de toit de palme et dès la nuit tombée, on voit une fumée percer les feuillages. Le lendemain, on débarque à terre, toujours ému de découvrir un nouveau lieu, ne sachant pas qui on rencontrera, ce que l’on y trouvera. Un village, des gens qui viennent nous souhaiter la bienvenue, on commence à discuter, on fait une petite promenade de part et d’autre du village, les papillons nous accompagnent, il y en a partout, des multicolores, noirs, gris tachetés, rayés, on en cueille comme des fleurs au milieu de la route, les papillons butinent les fleurs, on pourrait croire des fleurs, taches colorées sur taches colorées, certains s’appellent papillons « bonnes nouvelles », ils vivent une journée et demain, demain, le paysage qu’ils forment aura changé.

Les arbres sont immenses, une ville les habite faite de bruits des insectes qui les peuple, le tronc est un tronc de racines multiples, fragiles et puissantes, qui montent de la terre et descendent jusqu’à terre dans un cycle parfait. Il faut s’arrêter près d’un de ses arbres, et écouter cette vie qui bruisse comme une source, un ruisseau qui coule sans arrêt, un torrent, un fleuve, des qu’on fait un pas de côté, les bruits s’estompent, la ville s’éteint, il y a des bruits de grillon, de cigale, des oiseaux qui chantent, on ne voit rien, on entend tout, comme un arbre magique ; les banians au Vanuatu – aux Marquises, en Polynésie, les marae sont construits au pied des immenses banians-, les banians servent de lieu de réunion : le nakamal est construit soit à l’intérieur des racines soit à proximité, il peut servir de lieu de passage des esprits, on se remémore les légendes du Vanuatu recueillies par le linguiste Alexandre François mises à la disposition de tous sur son site internet, kpwet le dieu farceur, les farfadets, Romanmangan, la fée venue de l’autre monde, les trois femmes du gecko. Dans le village d’Havannah Harbour, des planches servant de bancs ont été installées au pied de l’arbre, on se retrouve le soir ou le dimanche pour discuter. « Ici pas de kava ni d’alcool », c’est ce que me dit le pasteur de l’église avec qui je discute sur le pas de porte de sa maison, il est depuis un mois dans ce village et va ainsi de village en village faisant le tour des villages acquis à la cause, il me dit qu’il était gendarme jusqu’en 1980, et au moment de l’indépendance il a démissionné. « Alors qu’est ce que l’indépendance a changé pour vous ? » sans hésiter il me répond : « Freedom » la liberté. «Avant « me dit il « dès qu’un blanc arrivait au village, on avait peur, l’impression d’avoir fait quelque chose de pas bien, la soumission ; depuis l’indépendance, nous avons retrouvé la liberté. »

Une des barques en aluminium est trouée, Pierre sort ses outils et répare la barque, on leur donne un bout d’amarre, ils nous donnent une grosse papaye.

En allant à Havannah Harbour, nous sommes passés par le domaine du roi Mata : les trois îles liées à sa vie et à sa mort, Maangas, Lelepa et Artok.

Selon les traditions orales, »le Roi Mata serait arrivé au Vanuatu en pirogue, aux alentours de 1 600. Débarquant au Sud d’Éfaté, à Maniora, la pointe la plus orientale de l’île, il entreprend la conquête d’Éfaté et des îles avoisinantes avant de s’installer dans le nord. À l’époque, les tribus sont en guerres depuis l’irruption du Volcan Kuwae qui perturbe l’organisation des terres.Pour restaurer une paix durable,le Roi Mata met en place un système de parenté matrilinéaire à lignées totémiques entre lesquelles la guerre est impossible. En leur donnant des titres, il intronise les principaux chefs de l’île qui lui sont liés personnellement par un serment d’allégeance, système qui perdure encore. Cette organisation donne au peuple d’Éfaté le sentiment de son identité commune, unifiant ainsi toute l’île. On raconte que la jalousie fraternelle mit fin aux jours de ce grand homme, quand son propre frère, Roi Muru, lui tira une flèche empoisonnée dans la gorge. Il succombe à cette trahison dans la cave de Feles, sur l’île de Lelepa…accompagné dans son voyage, des membres de la cour et de sa famille qui furent enterrés vivants, à ses côtés, avec leurs richesses : défenses de porcs, coquillages, colliers… »

Lorsque nous sommes allés au musée de Port Vila, nous avons pu voir les photographies de l’archéologue français José Garanger résultant des fouilles faites en 1972 sur les différents sites. Il découvrit la tombe du Roi Mata ainsi que les vestiges des squelettes de 47 personnes sur l’île d’Artok, confirmant ainsi les traditions orales.

Guerres tribales, cannibalisme, magie noire, avant la grande remise en ordre opérée par les missionnaires, le Vanuatu tout comme la Polynésie est maintenant le terrain de multiples religions, certaines tout à fait inconnues pour nous comme la « Christian Fellowship Church « CFC appelé aussi sous le nom de Etoism qui prône une propriété commune des terres et la communauté dans l’organisation de la vie du village ; elle interdit l’alcool et le kava…

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Vanuatu – Tanna

 

Après quatre jours de navigation, nous mouillons au large de Lenakel, la principale ville de l’île de Tanna : la côte est formée de petites échancrures dans lesquelles on voit encore des écoulements figés de lave ;sur des petites collines de terre sèche, poussent des banians énormes aux racines extraordinaires, la ville s’étire le long de la mer avec des maisons de béton aux toits de tôle, une dizaine de petites épiceries dont les étagères sont dégarnies, le marché de légumes et de fruits avec ses étals en bois, les vendeuses qui attendent assises par terre sur des nattes tressées. Sur le quai de béton, est amarré un petit ferry bleu au nom de« one people  Port Vila », ce peuple, ce seul peuple donc, des mélanésiens, la peau sombre, les cheveux frisés, jupes longues et évasées, robes « mission », shorts, tee shirts toujours avec des manches, souvent un petit sac tressé en bandoulière, les enfants, sur les chemins, accrochés à leur mère, ou libres, courant, emmenant la poussière dans leur course, sur les plages de sable noir, se baignant, jouant dans l’eau ; la plupart des gens ici viennent à la « ville » pour le marché, les petits magasins, la banque, la poste, le ferry ou l’hôpital puis attendent assis autour du marché, qu’attendent ils ? Peut être sont-ils comme moi, à regarder les uns les autres, à prendre le pouls de la ville, avant de retourner dans la campagne, dans leur village, une femme m’invite à m’asseoir à côté d’elle, elle parle le français, a été à l’école française, quelques voitures circulent, aux sigles d’organisations internationales… le soir, deux ou trois lumières s’allument dans la ville, le reste est plongé dans la nuit, des feux sur la plage, dans la colline…

Dès les Tonga puis au Fidji, nous avions quitté l’ère polynésienne pour entrer dans l’ère mélanésienne , et au Vanuatu, à Lenakel c’est un autre monde qui paraît s’ouvrir, un autre temps semble être vécu ici, on pense à l’Afrique, ici en Océanie…

Nous avons navigué pendant les élections américaines et lorsque nous sommes arrivés, nous avions une question qui nous brûlait les lèvres: qui a gagné les élections américaines,quel est le nouveau président des Etats Unis ? La question qui animait les conversations de Vuda Point la dernière marina des Fidji d’où nous sommes partis, ici à Lenakel, dans ce lieu si éloigné, cette question, il nous est apparu dérisoire de la poser, et elle n’a pas franchi le bord de nos lèvres. On aurait été à côté de la plaque, au sens propre, il fallait s’accoutumer à ce pays, prendre ses marques avec les gens, oublier ses repères et ses questions dérisoires.

 

Ile de Tanna – Port résolution

Ce n’est pas un port, où se trouve le port ? Et de quelle résolution s’agit-il ? C’est une baie d’eau boueuse, à l’entrée, des falaises, comme des arches, la terre découpée abrupte et, absurde, un cocotier resté au sommet, plus loin dans la baie, le volcan Yasur, on ne voit que sa fumée blanche, grise car il est caché par une petite colline mais sa fumée sort par les trous de la roche, le souffre teinte la pierre, la végétation fume de sa fumée, ses cendres maculent les surfaces, le pont du bateau, la terre, l’air a une odeur de brûlé ; le soir on entend ses grondements mêlés aux grondements de la mer, celui des vagues qui cassent de l’autre côté de la baie. Nous sommes au pied du volcan, dans l’abri fragile de la mer, à tout instant, on se dit que le calme de la baie n’est qu’un calme précaire, à tout instant, on sait que le volcan est là, sa fumée blanche incessante rappelant le trouble, la menace, l’explosion.

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Destination Port Résolution, nous sommes accueillis par Yasur!

 

Nous sommes sur la ceinture de feu du Pacifique, cet arc de volcans qui entourent l’océan Pacifique de l’Alaska en passant par les Andes jusqu’au Kamtchatka en Russie.

Depuis les Tonga, nous suivons le feu, l’explosion, le rouge et la cendre, c’est une terre d’îles ardentes, mêlées aux calmes et aux impétuosités de la mer, nous marchons sur les braises, incertains, et tangents, troublés et fascinés, ramenés à notre condition de mortels, effaçables par la furie de la terre qui gronde au-dessous de nous, nous rappelant sans cesse que nous vivons sur du feu, qu’à l’origine, dans le tréfonds, dans les entrailles se trouve le magma, l’incandescent bouillonnement, la lave en fusion.

 

De l’autre côté de la baie, faisant face, le village, à l’opposé du volcan et comme l’opposé du volcan. Le calme, la sérénité, la beauté solaire du village.

Nous débarquons en annexe au pied de la falaise. Sur la rive, des enfants leur cartable encore sur le dos jouent avec des filets de pêche, des pirogues à balancier faites d’un seul tronc d’arbre sont rangées; le chemin en hauteur mène au village, tapissé de fougères, entouré d’arbres centenaires, aux troncs énormes, noueux, façonnés par les années, nous passons devant deux grandes statues en bois noir de fougère, cachées dans la végétation, puis nous apercevons les huttes dont les murs sont faits avec des lanières tressées de bois et les toits sont de palmes, les habitants discutent par petits groupes, étendus sur l’herbe, construisent une hutte, viennent nous saluer, discuter avec nous, curieux ou indifférents, -et nous aimons aussi cette indifférence – l’herbe rase, les tournesols, les fleurs d’hibiscus, les petites roses, les plants de tomates, les grosses aubergines, les papayers, les arbres à pain, les cochons, les chiens, au centre, la fontaine pour tirer l’eau du puits, encore des huttes, des gens qui sourient, qui discutent, qui s’affairent, ou immobiles – qui rêvent ?- puis le lakamal, la place où se réunissent les hommes pour boire le kava, puis la plantation de bananiers, de cocotiers puis les arbres de pandanus très hauts, géants, touchant presque le ciel avec leurs branches dénudées, comme des bras démunis pour attraper le ciel, puis l’océan, l’espace libre de l’océan, l’océan, les vagues qui roulent, la plage qui s’étire loin, le sable blanc qui étincelle au soleil, les enfants qui jouent, se roulent dans les vagues, surfent debout ou allongés sur leur planche, les peaux qui ruissellent au soleil, les peaux qui ruissellent de soleil, accrochant sa lumière, la répandant dans l’air, la faisant tournoyer et répondre au volcan, à la noirceur, à la brûlure, à la morsure du feu.

On se croirait pénétré dans l’espace d’un rêve, d’une harmonie possible, d’une évidence , à l’entrée du village les deux grandes statues en bois noir de fougère qu’on dirait érigées pour garder les lieux et à la sortie du village, la place où les hommes prennent le kava, puis l’espace libre de l’océan.

Entre les dieux qui gardent, préservent, et les hommes qui rêvent, partis dans leur vie ralentie par le kava, il y a le village, la vie au village, celle où l’on naît, où l’on vit, où l’on meurt, au centre, la source, la fontaine d’eau.

Au fond de la baie se trouve la plage de sable noir, elle s’étend jusqu’au flanc de la colline d’un côté, jusqu’au pied du village de l’autre. Une rivière la traverse, au-delà la forêt dense et majestueuse, des majestés d’arbres, banians aux racines énormes, fougères, par la hauteur, imprenables, manguiers, cocotiers, arbres à pains, tous géants gigantesques, majestés majestueuses de la forêt. La forêt regorge de fruits (papayes, bananes, mangues, corossol etc..)° ; elle est parsemée de « gardens », des jardins potagers dans lesquels poussent des tomates, aubergines, taro, ignames, maïs, concombres, citrouilles etc … tous les fruits et légumes se trouvent en abondance, à proximité,et dans le village, les animaux : vaches, veaux, cochons, poules…

 

A certains endroits, le sable noir de la plage devient brûlant, l’eau de la mer fume, des vasques de sable accueillent l’eau fumante et servent à cuire la nourriture, à laver le linge, ou à se baigner, c’est selon, c’est encore une manifestation du volcan, ce sont ses résurgences souterraines qui chauffent l’eau et le sable, colorent la terre d’ocre, de jaune, de rouille, répandent son odeur de souffre. La baie à côté de Port Résolution s’appelle « Sulphur bay »,elle se trouve en face du volcan, à proximité de sa gueule, dans sa trajectoire de lave, c’est ce qu’on imagine rien qu’à la regarder sur la carte. Jusqu’à ce jour, nous n’avons pas pu aller jusqu’au cratère du volcan, le parc qui a été crée autour du volcan est maintenant payant et comme il a été impossible de retirer de l’argent même avec une carte bleue à la banque de Tanna ; le volcan reste pour nous une présence invisible, une présence puissante et invisible, sans possibilité d’être dévoilée, nous voilà partis à la recherche des traces du volcan à défaut de pouvoir l’atteindre, ses fumées sur la plage, dans la colline, les récits de Leah sur le volcan, elle le voit comme un lieu dangereux, à éviter, et nous énumère les gens qui y sont morts en voulant trop s’approcher, comme phalènes brûlés par la lumière, victimes de la trop puissante attraction qu’il dégage. Leah nous donne les années des accidents fatals avec une telle précision dans le temps tout à fait étonnante, car lorsqu’on lui demande l’âge de sa mère, elle nous indique « 50 ou 60 ans ».

Cette imprécision sur le temps est générale : une mère que nous croisons au détour d’un chemin dans la forêt à qui nous posons la question sur l’âge de ses enfants, « 7 ans « pour un enfant paraissant 4 ans, à un jeune homme rencontré sur la plage »22 ans » alors qu’il paraît 10 ans de plus… l’âge, le temps n’a pas la même importance, presque tous ont des téléphones portables mais ne peuvent pas dire l’heure qu’il est, comme si les repères de temps donnés par les horloges, les montres, les journées millimétrées que nous vivons dans nos sociétés, perdent leur sens ici, n’existent plus. L’Océanie a été appelé « le continent invisible » par JMG Le Clezio qui a intitulé son livre « Raga approche du continent invisible », on sent une telle présence ici, des gens, des arbres, de la terre volcanique ou pas, qu’on a dû mal à penser cette terre invisible -à moins d’adopter le point de vue du cartographe devant la multiplicité d’îles, la fragmentation de la terre- la seule chose qui ne serait pas visible, palpable, ici serait le temps qui passe, inconnu, dissolu, ignoré ou sans prise sur les hommes, fragmenté autant que la géographie fragmentée de ce continent.

 

Leah tient un petit restaurant dans une hutte du village, elle y sert pour quelques rares touristes de passage, emmenés là par un taxi, des légumes du poisson ou de l’omelette, Leah a été à l’école française qui est à une demi heure à pied du village ainsi que tous ses enfants, elle a appris à parler à cette espèce étrange que sont les touristes : » ne pas rester à les regarder sans rien dire, mais s’approcher d’eux et discuter », m’explique t-elle. Leah est un sésame entre nos deux mondes, sa voix est grave, traînante, elle a une figure ronde et des yeux pleins de curiosité, elle répond à nos questions avec patience, apprend aux enfants à faire des paniers en natte tressée, remplit les paniers de fruits et légumes, elle nous raconte qu’elle a été deux ans faire la bonne à Port Vila et a préféré revenir vivre dans son village.

 

 

 

Au détour d’un chemin dans la forêt, on croise une femme avec sa petite fille, elles s’arrêtent pour discuter un moment, nous emmènent dans leur « garden », nous remplissent le sac de légumes et de fruits…partout où nous irons au Vanuatu, nous retrouverons cette générosité qui nous déroute, les gens donnent sans compter,l’argent existe mais n’est pas la valeur dominante, assurer sa subsistance ici passe par d’autres moyens.

Tout comme en Polynésie Française, au Vanuatu : l’accueil, le don, le partage.

 

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Le lakamal : Une clairière dégagée de tous les arbres et plantations, le sol de terre brunâtre, plusieurs huttes sont dressées, des nattes tressées sont disposées à même le sol, les demi-coques de noix de coco pour boire la boisson sont rangées en hauteur sur une planche en bois, les traces d’un feu au centre de la clairière, dans les racines d’un arbre, un cercle pour se réunir, sur le côté deux sièges en plastique récupérées d’une automobile, à peine le squelette de ces sièges, tels des trônes, les chaises des rois ; à partir de quatre heures, la place est réservée aux hommes et les femmes doivent l’éviter, prendre le chemin qui la contourne… Qui s’occuperait des enfants si les hommes et les femmes en même temps se mettaient à boire le kava et à avoir l’esprit dans les brumes ?

 

 

Immanquablement, d’autres volcans ont surgi des mes entrailles souvenirs :

« under the volcano », c’est un livre que j’ai lu et relu qui m’a fait aller au Mexique, le volcan Etna que j’ai vu quand j’avais l’âge d’Elanore, les volcans du Cap-Vert , ceux d’Equateur jaillis de la longue plaine, toutes les descriptions géologiques des volcans faites par ma mère.

Nous sommes dans le 48ième pays le plus pauvre au monde si on se réfère à son PIB alors comment une telle sérénité, une telle harmonie , une telle abondance de nourriture, ce pays montré du doigt dans le Pacifique par les îles plus prospères qui doivent leur prospérité à la dépendance à d’autres pays, ce pays longtemps régi par une double administration celle de la France et de l’Angleterre, et qui en 1980 par suffrage électoral est devenu indépendant, revenu à la « coutume », à la tradition ?

Sur un agenda de Leah qui lui sert de livre d’or, une petite carte du Pacifique : les pays sont mentionnés avec leur pays de « tutelle », et on se rend compte combien les îles du Pacifique sont toujours sous le champs d’influence d’autres pays, : Nouvelle Zélande pour les îles Cook, et Niue, Australie, Etats Unis pour Hawai, et les Samoa, la France pour la Polynésie, Wallis et Futuna , la Nouvelle Calédonie…Déjà les premiers navigateurs, dont James Cook , faisaient les premiers repérages pour asseoir la puissance de leurs commanditaires. Aujourd’hui, on associe la dépendance à la prospérité, au développement, au bien-être des populations. Quand on voit vivre les ni Vanuatu, toutes ces évidences deviennent des questions. Chaque peuple a ses réponses, ses compromis, ses combats.

Les ni vanuatus sont revenus à une vie traditionnelle, à ce qu’ils appellent la « kastom »la coutume. Je ne pense pas me tromper en disant qu’ils ne l’ont jamais quittée, que la dépendance de certains pays n’ont fait que les effleurer tellement leur vie villageoise est préservée ; leurs villages de huttes sont fragiles, les intempéries, l’usure du temps, les détruisent régulièrement, inévitablement mais ils sont tellement faciles à reconstruire- un jour de travail collectif suffit -, qu’ils sont de ce fait indestructibles.

 

 

Après plusieurs jours de tractations avec des hommes du village-on a finalement troqué de l’essence et du gazole pour payer la visite et on est parti au volcan Yasur. La visite se fait depuis cette année obligatoirement en groupe. On est donc allé en groupe au volcan, expérience collective, expérience intime pour approcher un volcan en activité, on a monté la pente noire, jusqu’à atteindre le bord du gouffre, on ne voyait pas le fond, trop profond le fond, à l’état de mystère, plein de nos supputations- encore un endroit sans fond peuplé par nos imaginaires-, c’était le pays de Mordor, c’est ce nom qui venait à l’esprit, le Mordor, le néant, la mort. On entendait le volcan, on le regardait, on le subissait, surtout, à l’entendre, on ne savait pas s’il était animal ou minéral, on l’entendait mugir, rugir, gronder, frémir, hurler ; à chacun de ses grondements ; la terre tremblait, le ciel se fendait, on savait que c’était la fin, je veux dire la fin du monde puis, ce n’était pas la fin, et tout recommençait, les grondements, la terre qui tremblait, le ciel qui se brisait, une fumée parfois blanche de vapeur d’eau, parfois grise de cendres arrivait sur nous, grise, blanche, on ne savait plus, on fermait les yeux, autour de nous, ses flancs et pentes noires, noires de poussière noire, noires de cendres, on marchait sous la cendre sachant le feu là-dessous.

Au pied des pentes noires, sans transition, s’étalait la forêt, une forêt dense et bruyante, qui résonnait des bruits de ses insectes, ces chants incessants, lancinants se mariaient avec les cris de rage du volcan, sur un des côtés, on voyait la mer, « Sulphur bay », la baie du souffre, et la mer était grise, paraissant sans aucun mouvement, immobile, arrêtée et comme minérale, de pierre, comme si au contact du volcan elle était devenue minérale. La mer remontait jusqu’au ciel, qui était gris, lui aussi, mélangé à la mer, aucune frontière entre la mer et le ciel, seul ce gris, ce minéral.

De la bouche du volcan, des roches grises jaillissaient et retombaient de façon miraculeuse aussi verticalement qu’elles montaient, comme si le volcan se desquamait, et ses entrailles jaillissaient, pourrait-on dire le volcan se jaillissait, quand la nuit est venue, les roches grises sont apparues incandescentes, rouges, de feu, le volcan crachait du feu, et on le regardait fasciné, subjugué, sans pouvoir bouger,sans savoir si son feu n’allait pas retomber sur soi.

Des étincelles, du feu, une marmite d’ogre , le feu de camp des géants, et toujours les grondements, les tremblements comme si la terre, le monde allait s’effondrer, cesser.

Après, on a compris les danses, les chants, la mythologie, la déification du volcan, Yasur, son nom signifie Dieu. On a compris pourquoi il pouvait être un Dieu, le Dieu, faire tomber la pluie, faire abonder les récoltes, bénir, maudire les hommes, pourquoi on se paraît pour lui, on dansait, on chantait avant d’y monter : pour s’accorder ses faveurs, le rendre bienveillant, nous tout petits, tout petits sur la face noire.

Lorsqu’on a quitté Port Résolution, on est passé au large de Sulphur Bay, le volcan fumait, des nuages gris s’échappaient, se confondaient avec les nuages gris du ciel ; la forêt verte coulait jusqu’à la mer, cette forêt abrite un village qui encore aujourd’hui a établi un système de croyance autour du culte du cargo :un homme qui viendrait d’un bateau et apporterait abondance et richesse. On se demande comment ces hommes pris sous le feu du volcan, vivent, attachés à cette terre.

Port Résolution, du nom du bateau de James Cook qui aborda le premier l’île, le nom de cette baie est donc une des traces du passage de James Cook sans qu’il ne s’agisse d’aucune résolution, d’aucun port, seulement une histoire de navigateur et de bateau.

 

 

Le Dugong de Lamen Bay

La baie de Lamen sur l’île d’Epi est réputée pour sa faune. De nombreuses tortues y viennent brouter mais surtout elle abrite un dugong! Le dugong est un mammifère marin herbivore de l’ordre des siréniens qui inclut également les trois espèces de Lamantins.

En plongeant près du bateau, nous avons la chance de le rencontrer. Nous le suivons pendant 30mn. Au retour, Lucile est enchantée et dessine aussitôt la scène.

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Des fidji au vanuatu

La bienveillance des îles, leur protection, le calme du lagon, nous quittons tout cela avec la fin du jour, lorsque nous sortons du lagon : nous allons vers la nuit et la mer agitée ; c’est un brusque changement, une porte que l’on a poussé et qui se referme derrière nous, Très rapidement sur la mer, tous les signes de terre s’effacent et c’est la nuit et c’est la mer. La nuit et la mer, seules. Les mouvements incessants du bateau qui ôtent le sommeil, les pensées, la faim. Le bruit des vagues dans le noir et leurs crêtes blanches qui jaillissent du noir. Nous cherchons sur la couchette une position confortable pour dormir mais le pari est perdu d’avance. La navigation est rapide, hachée, secouée. Au fil du temps, elle devient de plus en plus lente, calme, apaisée, comme pour s’habituer au rythme lent du Vanuatu vers lequel nous allons, à la mer si vaste qui nous entoure ; la navigation prend un rythme lent et éternel qui permet de lire, d’écrire, danser, jouer, cuisiner….le rythme de la mer, celui du bateau, ralentira jusqu’à notre arrivée, jusqu’à ne plus avoir de vent, jusqu’au plat d’une mer plate. Triomphe de la lenteur, dans le giron de la mer.

 

Ces navigations entre deux pays sont un pays en soi, toujours le même, avec ses états d’âme, ses soubresauts, et ses calmes plats, on retrouve le pays de la mer comme une respiration attendue loin de l’attraction des humains, les laissant à leur sort sur la terre et nous, grandis, secoués, malmenés, dans notre sort de marins.

Un épanchement de soi pour mieux se vider, une retenue pour ne retenir que l’essentiel, le squelette, l’ossature. La mer est un épanchement de soi, une retenue de soi, un voyage entre la haute solitude et la promiscuité, on perd peu à peu tout contact avec autrui pour partir vers d’infinis soliloques, solitudes qui se diluent dans l’espace alentour, c’est un étalement de la pensée, une dilution, une perdition des sens, des mots, de tout ce savoir dantesque des livres, des universités.

 

C’est pourtant un livre qui lu et relu porte cette navigation vers les Vanuatu. Dés que nous avons retrouvé Noël au Tonga, nous avons reparlé de la conversation que nous avions eu à propos de ce livre, 9 ans auparavant. Depuis 2005 que j’ai lu « Raga » de Le Clezio, depuis 2005 nous allons vers les Vanuatu, avec ce livre, avec ses interrogations, toutes les questions sur l’indépendance d’un peuple, sa liberté, sa culture, ce qu’est l’âme d’un peuple et ce qui le fait vivre. Dans toute l’Océanie, ces questions se posent, et se reposent une fois la réponse donnée : libre, indépendant, avec sa culture, plus pauvre, ou bien plus riche, mais dépendant, que faut il choisir ? L’Océanie a été la proie des grandes puissances, encore maintenant, endroit stratégique entre l’Asie et l’Amérique, continent sous l’influence de l’Australie, de la Nouvelle Zélande, des Etats unis. Même libres et indépendants, les pays sont encore dominés, alors, que peut la magie noire contre la puissance de l’argent et du pouvoir ?

Vanuatu du nom du parti politique qui porta l’indépendance du pays en 1980, signifiant « notre pays » dans les dialectes du Nord, appelé autrefois Nouvelles Hébrides par James Cook et auparavant Grandes Cyclades par M de Bougainville, comment était appelé le Vanuatu par ses premiers habitants ?

J’ouvre une fois encore ce livre, corné, taché par l’humidité du bateau ; Surligné, annoté par mon père , c’est ce qui le rend le plus précieux. En pleine mer, l’île de Futuna est apparue, comme dressée d’un seul coup, faite d’une seule masse par son volcan, c’est tellement extraordinaire qu’on ne se lasse pas de regarder et regarder cette île, comme la concrétisation de tous nos rêveries sur le Vanuatu. La mer est couverte de particules grises, comme si c’était de la cendre du volcan. On dirait que le fond est proche , il y a pourtant des centaines de mètres dessous et seul un effet de lumière donne l’impression d’un sol, du sable, de la terre, de la cendre. Le sondeur indique 5 mètres de profondeur là où le fond est abyssal, c’est certain, le capitaine Némo nous suit dans son sous-marin, c’est ce qui brouille le sondeur, la baleine de Moby Dyck est sous le bateau, c’est certain, le vieux pêcheur attrapera le poisson et retournera à bon port.

 

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