Dessalinisator et à travers


Le confort…

Ce n’est pas parce qu’on vit sur un bateau, qu’on est ballotté jour et nuit, trempés par les embruns et visité quotidiennement par le mal de mer, qu’on n’apprécie pas un peu de confort. C’est ainsi, qu’au fur et à mesure de notre pérégrination, des éléments de confort – dont nous nous passions volontiers lorsque nous étions jeunes et fringants – font peu à peu leur apparition : un réfrigérateur, une grosse annexe avec un gros moteur, une tablette, des toilettes électriques, une liseuse, un guindeau, un mixeur…

Tous, ils ont su se rendre immédiatement indispensable !

L’un d’eux à même réussi l’exploit de se rendre indispensable… et horripilant. Je veux parler du dessalinisateur.

Grâce à lui, fini la corvée d’eau douce, l’attente interminable en compagnie d’une légion de bidons peu causants devant un robinet municipal qui distille goutte à goutte sa précieuse ressource !

Il a su si vite se rendre indispensable qu’il a immédiatement gagné un charmant sobriquet montrant tout l’attachement et la reconnaissance que lui témoigne l’équipage : « Saletédemachinkimarchejamais »…

Car l’objet est sensible, capricieux, susceptible. Les interminables heures passées à transvaser des bidons se sont transformées en insoutenables séances d’escrimes, passées à lutter avec acharnement contre une technologique récalcitrante.

Un dessalinisateur, c’est un bijou de technologie, une horlogerie suisse, un condensé de plomberie.

— Mais comment ça marche ? se demandent les profanes du premier rang – au sein desquels se trouve ma mère qui adore jouer le rôle de la fausse ingénue.

Sur un bateau, l’eau ne devrait pas poser un problème, il y en a partout, et même dessous – il faut l’espérer. Seulement, elle est généralement salée et, à moins de s’appeler Bombard, elle est impropre à la consommation.

Alors comment faire ? N’utiliser que de la bière ? (Les enfants ne sont pas contre…) Nous avons essayé et nous nous sommes rendu compte que pour l’hygiène corporelle, la bière n’est pas efficace. Elle mousse comme le savon, mais ne lave pas.

Pour avoir de l’eau douce, il faut séparer les gentilles molécules d’H2O (le bon grain) des méchants ions Na+ et Cl- (l’ivraie).

Dans son infinie sagesse, l’homme a mis au point plusieurs techniques.

L’évaporation consiste à chauffer l’eau puis en condenser la vapeur, Procédé compliqué qui demande d’importantes quantité de combustible pour chauffer tout cet océan.

Il y a aussi l’effet Peltier – et je suggère aux curieux d’utiliser la case « rechercher » de leur moteur de recherche pour avoir plus d’explications.

Enfin la technique qui nous intéresse : l’osmose inverse.

Osmose inverse est un procédé inspiré de la nature et développés par la NASA pour envoyer des astronautes sur la lune et faire croire que les forces de Véga ont une base secrète sur sa face cachée (les amateurs de Goldorak et des théories du complot comprendront).

Je précise aux propriétaires des yeux exorbités qui lisent ces lignes avec ahurissement, que de l’osmose, vous en faites tous les jours. L’osmose c’est le principe qui permet à vos cellules de réguler leurs concentrations en ions et sels minéraux. (Et vous auriez écouté votre professeur de biologie au lieu de chahuter au fond de la classe, vous n’ouvririez pas ces yeux de merlan frits !

L’osmose c’est simple : vous prenez une membrane semi-perméable, vous mettez de l’eau de part et d’autre, d’un côté vous ajoutez deu sel, (ou du benzoate de potassium, des nitrates, du cyanure… suivant ce que vous avez à votre disposition) et vous attendez.

Au bout d’un moment, vous constatez qu’une partie du liquide (l’eau) a traversé la membrane pour équilibrer les concentrations relatives en sel de part et d’autre de la membrane.

En clair : l’eau non salée a migré du côté de l’eau salée pour la rendre moins salée…

L’osmose inverse ? C’est – comme son nom ne l’indique pas – la même chose… On applique simplement une très forte pression sur le côté salé pour faire croire à l’eau que le côté « eau douce » est plus salé qu’il n’y paraît et qu’elle devrait y aller faire un tour…

En langage scientifique : on dit qu’ on applique une pression supérieure à la pression osmotique.

Le secret, c’est donc la pression… Et c’est là que nos vannes, membranes, tuyaux deviennent compliqués car pour que cela marche, il faut une pression de 30 à 40 bar !

( j’en vois qui tendent l’oreille en entendant parler de pressions et de bars…. Ils peuvent se rendormir, je n’entame pas une tournée des bistrots et bodégas pour tester des breuvages houblonnés !)

Pour les profanes – ou ma mère – une pression de 40 bar, à notre échelle, c’est énorme. 40 bar, c’est la pression que reçoit un sous-marin à 400m de profondeur ,ou celle que perçoit votre plante de pied quand vous marchez sur un clou…

De la pression et pas de fuite. L’ensemble sans consommer trop d’énergie. Le problème c’est que beaucoup de pression nécessite beaucoup d’énergie !

Ce qui nous amène à parler de questions existentielles et de spiritualité : Dieu a fait l’homme à son image… mais Dieu est un fainéant et il a salopé le boulot, Il a fait l’homme au moins aussi fainéant que lui… Preuve que l’on devrait vénérer la fainéantise comme la plus grande qualité de l’homme, celle qui révèle son essence divine…

Ce principe porte de nombreux noms, on parle d’entropie, d’énergie nulle, de modèle stable, tout cela revient au même, moins on en fait, mieux on se porte, le travail, cela fatigue !

Revenons à nos brebis égarées… Il faut de l’énergie pour produire notre pression.

À ce point deux écoles s’affrontent.

Les premiers, un peu bourrus et rustres sont des adeptes de la manière forte : Ça finira bien par rentrer… à coup de marteau, s’il le faut !

Les deuxièmes, un peu plus subtils (et à l’image de leur fainéant de créateur) estiment qu’il suffit de biaiser et de faire faire le travail par autrui.

Les premiers ont développé des pompes « hautes pressions » qui sont ce qu’est le char d’assaut à la voiture de sport, Les seconds ont inventés des pompes à récupération d’énergie qui sont ce qu’est le side-car à la moto.

Chacune des deux écoles à ses avantages :

— Jamais en panne et indestructibles ! affirment les bourrus.

— Moins gourmand en énergie ! rétorquent les feignasses…

Et ses inconvénients :

— Toujours en panne ! rigolent les rustres.

— trop fatigant ! se gaussent les subtils.

Notre « Saletédemachinkimarchejamais » fait partie de la deuxième école. Non pas par osmose de la machine avec la principale qualité du capitaine, mais parce que nous l’avions acheté d’occasion et qu’à l’époque nous ne savions rien de toutes les subtilités de la dessalinisation.

Comme dit le proverbe, « C’est en dessalant qu’on devient dessalé ».

« Saletédemachinkimarchejamais » (premier du nom), était orphelin. Issue d’une marque française qui avait déposée le bilan (livol), il souffrit toute sa vie de ce manque d’affection, et de reconnaissance. Il devint capricieux et neurasthénique.

Suicidaire, il n’hésita pas à se rompre une durite et remplir la coque tribord de 1000 litres d’eau salée. Performance qu’il réédita quelques semaines plus tard en en se fissurant le porte filtre.

Enfin, il se rompit le piston. Nous avions tenté une greffe avec un axe en inox, elle ne fit que rallonger son agonie dans un pavillon de soins palliatifs.

Nous enterrames ses pièces détachées dans un coffre du bateau (ça peut toujours servir!).

Après quelques allers et retours avec nos bidons (tout heureux de reprendre du service), nous primes la décision de lui trouver un remplaçant.

Comme aurait dit Domenech : « on ne change pas une équipe qui perd », nous avons jeté notre dévolu sur la première occasion disponible : un fringant Ventura 150 de Spectra.

Une fois encore nous options pour un système à récupération d’énergie.

Il faut dire que sur le papier, « Saletédemachinkimarchejamais II » avait tout pour séduire : 30litres par heure, entièrement revu et remis à neuf par Gilles, un prix… moins cher qu’un neuf et le seul disponible immédiatement à Tahiti.

« Saletédemachinkimarchejamais II » a donc rejoint le bord. Nous l’avons bichonné et confortablement installé dans un équipet spécialement aménagé à son intention. il avait tout pour être heureux.

Cela n’a pas duré. Un an plus tard la pompe de gavage (Shurflo) tombait en panne.

Dans la foulée, il se plaignait de ses anular rings douloureux et arretait de faire de l’eau. Ils ne supportaient plus la pression.

Le diagnostic fut sans appel : « Anular rings » cassés ! Il fallut pratiqué une opération à piston ouvert pour les remplacer.

(les « anular rings » ce sont deux anneaux en plastique avec des trous qui permettent de distribuer la pression dans les chambre des vérins)

Trois mois après, Nous quittions enfin Tahiti, 0 peine arrivés à Huahine, « Saletédemachinkimarchejamais II » se plaint à nouveau d’arthraose dans les « anulars rings » ! Pourtant, ils sont prévus pour 4 ans d’utilisation… Une mauvaise série ? On revient à Tahiti pour une nouvelle opération, on en prend un de plus, au cas où… et nous repartons.

Cook, Niue, Tonga, Fidji. Trop de soleil, eau trop humide ? On ne sait pas. Toujours est-il que les « anular rings » de « Saletédemachinkimarchejamais II » ont de nouveau flanché.

Plus de rechange à bord, Nous patientons 15 jours dans la.rade de Port Vila en attendant de nouvelles pièces. Tiens c’est marrant, ils ne sont pas dans la même matière…

Quelques mois plus tard, un technicien de Spectra que la matière a été changée depuis quelques années, car trop fragiles (ben voyons!). Malheureusement, les distributeurs ont tendance à écouler leur vieux stock…

« Saletédemachinkimarchejamais II » roule enfin des cylindres avec ses « anular rings neufs ».

Sauf que très vite, il a commencé à faiblir…

Cette fois ce n’est pas les anular rings… mais il y a encore une page de pannes possible sur la documentation technique. je cherche, contacte le Dieu Spectra qui, Oh miracle, me réponds par l’intermédiaire d’un de ces disciple-techniciens!

Avec son aide, je finis par comprendre. C’est la pompe de gavage qui flanche ! La même que j’ai changée il y a… un an et un 15 jours ? Juste après la fin de garantie ! Obsolescence programmée ? Quelle marque déjà ? Shurflo ? Comme la pompe d’eau douce dont je viens de changer 4 fois les switch de pressostat ?

Encore un nom qui vient de rejoindre ma liste noire de marques indésirables (au côté d’Apple, de Navicom et ENO…)

On revient de France avec une nouvelle pompe.

« Saletédemachinkimarchejamais ». marche tant bien que mal pendant 15 jours avant de flancher de nouveau. Il s’épuise, sa production baisse.

Je recontacte le Dieu Spectra, qui me propose de passer à la troisième ligne de la liste des défaillances possibles : c’est une usure généralisée (les tests sont formels). Il faut changer tous les joints internes !

Puerto Princesa, Palawan. Heureusement les Philippines sont tellement pluvieuses que nous n’avons pas besoin de faire de corvées d’eau ! Cela serait même plutôt le contraire.

le kit est arrivé et nous l’avons installé. J’ai été agréablement surpris par sa qualité, Même l’outillage est fourni ainsi qu’un guide complet de rénovation.

Au bout de 15 jours, Je me décide à démonter la pompe de gavage (quelle marque déjà, Shurflo ?). Le pressostat est mal calibré (d’origine), il déclenche la sécurité en permanence et empêche « Saletédemachinkimarchejamais II » de faire son travail.

Enfin! Depuis 6 jours, « Saletédemachinkimarchejamais II » nous fourni enfin nos 60 litres d’eau douce quotidienne… pour combien de temps ?

 

L’eau c’est précieux… On ne peut quand même pas mettre de la bière dans le pastis !