Les deux mondes
Le triangle des Bermudes a ouvert une succursale dans le pacifique nord, entre les iles Marshall, les iles Mariannes et les iles Moluques. Nous nous y sommes engouffrés, confiants, pensant faire une rapide navigation de deux ou trois semaines qui nous mènerait aux îles Philippines. Nous n’en sommes ressortis que 3 mois après!
Que c’est-il passé? Nous avons traversé une succession de failles spatio-temporelles.
Il y eut d’abord la faille de Nukuoro où le temps s’immobilise. Les habitants, le parfum de Polynésie, le lagon qui resplendit, la course qui s’apaise. Au bout de 10 jours, nous repartons en ayant eu l’impression de n’y rester que 3.
Lamotrek et Elato, autres failles. Nous sommes propulsés dans le passé, à l’époque de la Polynésie de Paul Gauguin.
Lamotrek et Elato, deux minuscules îles comme deux perles dans leur lagon. petites comme une dizaines de terrain de football. Deux confettis où des hommes vivent des ressources de la mer et de la nature.
A Lamotrek et Elato, Les hommes pêchent, les femmes cultivent. On y sculpte des pirogues, on tresse des cordes de fibre de coco, on fabrique des nasses à poissons, on tisse, on tresse. On mange du poisson, de la coco, du taro, du uru, des poulpes et parfois de la tortue. Le soir on se rassemble. On boit le « tuba », la sève du coco fermentée patiemment recueillie trois fois dans la journée en grimpant en haut des cocotiers. On discute, parfois on chante. Hommes et femmes vivent presque nus, avec juste un pagne autour des reins.
Les jours s’écoulent. Les jours passent. Nous n’avons pas cherchés à les retenir.
Petit à petit, notre monde nous a rattrapé. le gaz qui s’épuise, plus de sucre, plus de lait. le nutella a disparu depuis longtemps, remplacé par le sirop de coco. Feuille à feuille, le papier de toilette disparaît. Il va falloir repartir.
Encore une faille, électro-mécanique cette fois. Le guindeau est tombé en panne, moteur grillé. Quel est le message? Est-ce Caracolito qui a voulu nous empêcher de remonter l’ancre pour que nous demeurions?
Il faut réparer. Nous sommes repartis. Nous croisons des cargos. Du nord au sud et du sud au nord. L’A.I.S. nous en montre jusqu’à 6 simultanément. Des monceaux de conteneurs, des tonnes de biens à consommer slaloment entre ces îles qui ne savent pas ce que consommer veut dire.
A Yap. dernière des îles de la Micronésie, capitale de l’état, nous pensions y retrouver la « civilisation », nous n’en trouverons que les balbutiements. Dans la file d’attente de la banque, une femme aux seins nus, les habitants qui hésitent, qui s’accrochent au mode de vie ancestral. La musique s’immisce, les casquettes apparaissent.
Une connexion Internet balbutiante nous permet de commander un nouveau moteur de guindeau, guère plus.
Nous attendons le moteur. Les jours s’écoulent de nouveau. Un mois entre école, sortie à la piscine de l’hôtel Manta Bay, glaces au « Bar bateau » et visite quotidienne à l’immigration. Car les services d’immigration de l’état de Yap dépendent de ceux de Palikir à Pohnpei: nous avons pénétré dans une nouvelle faille, administrative cette fois. L’immigration de Palikir nie notre présence. pendant 3 semaines Dominic, l’officier de Yap réclamera quotidiennement à son chef une décision nous concernant. Pas de réponse: nous n’existons pas. notre bateau n’est pas au mouillage devant les bureaux du port.
Le moteur du guindeau est arrivé, nous relevons l’ancre. nous quittons Yap où nous ne sommes pas resté 30 jours.
Le 5 mai 2017 nous arrivons à Tacloban, aux Philippines, Le dernier tampon de nos passeports est celui de Pohnpei, le 9 février 2017. Où étions nous entre ces deux dates? dans la faille entre les deux mondes…